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gouvernement pour lequel vous vous faites tant de mal réciproque ? » Et Hortensia continue en démontrant que, même en temps de guerre, les femmes sont exemptes d’impôts ; tout au plus admet-elle la nécessité de subvenir aux besoins de la patrie si la sécurité de l’empire était menacée par une attaque étrangère ; mais tel n’est pas le cas, et elle revendique pour son sexe le privilège de rester à l’abri des exigences tyranniques des triumvirs. Il y a dans toute cette argumentation beaucoup de rigueur et de force, — non sans quelque sécheresse peut-être, — et surtout une limitation très nette du débat. Hortensia ne conteste pas la légitimité du pouvoir des triumvirs ; elle entre si peu dans la controverse politique qu’elle affecte presque de l’ignorer ; elle se cantonne dans la défense des prérogatives féminines : abstention de la vie publique, et par suite, comme contre-partie nécessaire, exemption des charges financières que cette vie entraîne, voilà la formule qu’elle met en relief avec insistance, et qui lui était d’ailleurs imposée par les conditions de la cause. Elle réussit, nous disent les historiens, à obtenir au moins une notable atténuation des exigences fiscales : au lieu de quatorze cents femmes assujetties à l’impôt, il n’y en eut plus que quatre cents, et en même temps, le taux de l’impôt fut considérablement abaissé. L’histoire de l’éloquence féminine à Rome compte donc un beau triomphe, remporté dans une occasion dramatique, sur des juges tout-puissans et durs. Malheureusement, cette histoire n’est pas très riche en noms célèbres et en épisodes connus. Le plaidoyer devant les triumvirs fut une exception dans la carrière d’Hortensia, et Hortensia elle-même une exception parmi les femmes romaines. Il y eut d’autres avocates, mais trop peu nombreuses et trop peu glorieuses pour que nous puissions nous les représenter sous un jour concret et vivant : elles sont pour nous des noms, et rien de plus.

Avec la pratique de l’éloquence, ce qui attire surtout l’activité d’un Romain des classes dirigeantes, c’est la spéculation financière. Caton aussi bien que César, Brutus aussi bien que Cicéron, ont été des manieurs d’argent en même temps que des orateurs. Ce domaine n’était pas, lui non plus, fermé à l’initiative féminine. Maîtresse de gérer ses biens, la femme pouvait chercher à les augmenter par les mêmes moyens que les hommes : exploitation de vastes domaines agricoles, spéculation sur les terrains et les immeubles, prêt aux gens besogneux