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ses habitans sont écartés des emplois, son administration est d’une négligence proverbiale : affari interni affari eterni, dit-on. De là une désaffection marquée pour l’autorité de Turin, notamment chez les libéraux, un détachement qui ne fait que s’accroitre avec les deux guerres malheureuses de 1848 et 1849 où la Savoie, tout en donnant largement le sang de ses fils pour une cause qui n’est pas la sienne, sait qu’elle a tout à perdre et rien à gagner. Elle n’est pas et ne peut pas être italienne, elle comprend que plus le Piémont s’agrandira, plus elle sera déchue et sacrifiée, elle ne veut pas devenir, selon un mot prêté à Cavour, l’ « Irlande de l’Italie. » Sans doute le statut de 1848 et la politique anticléricale de Cavour rallient bientôt au gouvernement les libéraux, les démocrates, les amis de la France républicaine devenus les adversaires de la France impériale ; mais ce sont alors les conservateurs qui, sans renier leur loyalisme au prince, de « Piémontais » qu’ils étaient, deviennent « Français, » tandis que la masse garde au cœur son affection pour la grande nation dont la rapprochent la langue, les intérêts, et tant de glorieux souvenirs ! Tout le monde pressent qu’une nouvelle campagne sur le Pô décidera du sort de la Savoie, et l’angoisse est à son comble quand éclate la guerre de 1859 où la brigade de Savoie va faire encore une fois brillamment son devoir. La Savoie se survivra-t-elle ? Se réveillera-t-elle Française ? Subira-t-elle l’humiliation d’un démembrement franco-helvétique ?

On sait comment à Plombières, en juillet 1858, Cavour s’était assuré de l’aide de l’Empereur dans une guerre italienne d’où le Piémont sortirait agrandi de la vallée du Pô, de la Romagne et des légations ; en échange, le roi Victor-Emmanuel sacrifierait « l’enfant et le berceau : » il donnerait à l’Empereur la Savoie, il donnait de suite au prince Napoléon la main de la jeune princesse Clotilde. L’Empereur, un an après, s’étant à Villafranca retiré du jeu, alors que le but à atteindre n’était qu’à demi atteint, et paraissant dès lors s’opposer aux progrès du Piémont dans l’Italie centrale, dut laisser pour un temps sommeiller la question savoyarde. Il la reprit en douceur dans l’automne de 1859, puis avec fermeté au début de janvier 1860, après qu’il se fut décidé, devant le progrès des révolutions italiennes, à rendre la main à la monarchie sarde en Italie. Le 12 mars, il y a accord secret, notifié le lendemain aux