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puissances ; enfin le 24 mars, le traité officiel de cession, ce « bon contrat de droit monarchique, » comme disait alors M. Forcade dans la Revue des Deux Mondes, est signé et publié : la Savoie et Nice sont « réunies » à la France ; cette « réunion » sera effectuée sans nulle contrainte de la volonté des populations, les gouvernemens devant se concerter sur les moyens de constater la manifestation de cette volonté. Après trois siècles et demi d’épreuves, l’histoire atteignait donc son but, et en même temps que la Maison de Savoie devenait la dynastie d’Italie, la Savoie, rendue par ses princes à sa destinée, devenait française pour toujours : jamais Savoie comme a dit le marquis Costa, ne repassera les Alpes !

Ce sont là des faits connus de tous. Il y en a d’autres moins connus, mal connus encore aujourd’hui, et sur lesquels il faut insister, car on y démêle l’origine de l’établissement, par l’initiative impériale, de la zone franche de 1860. Ce qu’on sait peu, ce qu’on s’explique moins encore, c’est que, bien avant le jour de l’annexion, l’Empereur se soit disposé à céder à la Suisse la Savoie du Nord, le territoire même de la zone franche actuelle. Ses intentions étaient sans doute fixées depuis longtemps lorsqu’il déclara verbalement au ministre de Suisse à Paris, Kern, le 31 janvier 1860, que, « si l’annexion devait avoir lieu, il se ferait un plaisir, par sympathie pour la Suisse à laquelle il portait un intérêt tout particulier, de lui abandonner, comme son propre territoire et comme une partie de la Confédération helvétique, les provinces de Chablais et de Faucigny. » Les 6 et 7 février, des déclarations analogues furent faites à Berne et à Genève ; Turin et Londres furent mis au courant[1]. Pourquoi cette libéralité gracieuse ? Pourquoi l’Empereur se préparait-il à offrir à la Suisse cette part du gâteau de Savoie, et à créer de son plein gré au Sud du Léman un nouveau Tessin ? On a imaginé bien des raisons, et pas une bonne. Sans doute, dès l’automne de 1859, saisissant l’occasion de faire valoir ses prétentions sur la Savoie septentrionale, la Suisse avait d’avance et officieusement protesté contre une annexion éventuelle de la Savoie à la France : Genève serait écrasée par la ligne des douanes françaises ; la défense militaire de la Confédération deviendrait impossible : la neutralité de la Savoie du

  1. Kern, Souvenirs politiques, Paris, 1887, p. 186. — Cf. L. Thouvenel, Le Secret de l’Empereur, Paris, 1889, I, p. 29.