Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/813

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortie des denrées savoyardes nécessaires à sa consommation, se résigna à constituer le long de la frontière genevoise une petite zone franche, dite zone sarde, concession qui lui coûta beaucoup, et dont il chercha tout de suite à pallier les dangers par une réglementation très sévère. Genève, pas plus que la Confédération où elle venait d’entrer, n’avait alors de douanes à sa frontière : c’est ce qui explique que le roi de Sardaigne ait négligé de faire inscrire dans les traités la contre-partie logique de l’entente, c’est-à-dire la libre entrée des produits savoyards en Suisse. Or il arriva que de cette réciprocité que semblait garantir l’esprit, sinon la lettre, des accords, la Confédération ne tint nul compte quand elle imposa dès 1816 au canton de Genève comme aux autres cantons de légers droits de péage, puis surtout lorsqu’elle établit en 1849-1851 des taxes de douanes dont les tarifs ne firent depuis lors que s’aggraver. Les importations savoyardes, les produits de la zone sarde se virent frapper comme les autres à l’entrée à Genève, à l’exception d’un très petit nombre de denrées pour lesquelles la Sardaigne obtint en 1851 un traitement de faveur : de là toutes les difficultés commerciales actuellement pendantes entre la Savoie et la Suisse, entre la zone et Genève.

Elles ne firent que s’accroître, ces difficultés, le jour où l’Empereur Napoléon prit l’initiative de créer, à côté et en plus de la petite zone sarde, la zone dite d’annexion, près de vingt fois plus importante en superficie. Ce n’était pas seulement une facilité nouvelle donnée à Genève pour s’approvisionner dans la Savoie septentrionale, c’était encore un débouché important ouvert à l’industrie et au commerce helvétiques. Si considérable qu’elle fût, la libéralité gratuite que consentait l’Empereur n’eut pas alors le don d’être appréciée par la Suisse, qu’il avait trop vivement blessée dans l’affaire de la cession, et qui, de la zone, avait espéré obtenir non seulement le domaine utile, mais le domaine direct, comme disent les jurisconsultes[1] ; il ne put réclamer aucune réciprocité, aucun avantage au profit des zoniens qu’il laissa désarmés devant les rigueurs des douanes suisses. Pendant vingt ans, la

  1. L’expression est de M. Léonce Duparc, avocat à Annecy, dont les deux brochures sur la Question de la zone franche (Annecy, Hérisson et Cie, 1902 et 1903), singulièrement riches en faits et en déductions, sont bien intéressantes même pour ceux-là qui n’oseraient en accepter toutes les thèses.