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princesse Sophie-Albertine l’avait obligé à manifester ses opinions moins bruyamment qu’il ne l’avait fait à Vienne. Mais, quand il se fut séparé d’elle ; il en revint à ses anciens erremens ; il recommença à parler sans mesure et sans retenue du Régent et de Reuterholm. Il en fut ainsi durant les six mois qu’il passa à Florence, à Pise, à Lucques et à Gênes. Dans cette dernière ville, en présentant au Doge ses lettres de créance, il ne craignit pas de couvrir de louanges les puissances qui se coalisaient pour défendre les monarchies menacées. A Florence, il accentua son attitude en refusant de se mettre en rapport avec le citoyen La Flotte, représentant de la France, et en se liant d’amitié avec lord Harvey, le ministre d’Angleterre, homme d’ancien régime, adversaire ardent de la République, qui cherchait à faire entrer dans la coalition la Cour toscane restée neutre jusqu’à ce jour entre les belligérans.

En fréquentant assidûment, au mépris de toute prudence, la Légation anglaise en un moment où le gouvernement qu’il représentait négociait avec la République en vue d’une alliance, Armfeldt ne s’inspirait pas uniquement de raisons politiques. Au siège de cette légation, où il pouvait parler librement, certain d’être toujours approuvé, il avait rencontré une personne spirituelle et séduisante, lady Anna Hatton, la sœur de lord Harvey. Quelle fut la nature de ses rapports avec elle ? Lui fit-elle oublier sa femme, et ses deux maîtresses, Madeleine de Rudenschold et la princesse Mentschikoff ? Nous l’ignorons. Mais il n’est pas douteux qu’entre la sémillante Anglaise et lui, se créa, durant son séjour à Florence, une intimité affectueuse et confiante. C’est à elle et à lord Harvey, qu’au moment de quitter la Toscane, à la fin d’octobre, ne jugeant pas prudent de transporter ses papiers avec lui, il les confia, convaincu qu’entre leurs mains, ils seraient en sûreté. C’était compter sans Piranesi et méconnaître son audace et son esprit de ruse. On verra bientôt comment cet Italien astucieux parvint à s’en emparer et précipita ainsi la catastrophe dont malheureusement Armfeldt ne devait pas être la seule victime.

Son plan de révolution n’avait pas encore transpiré ; il ne fut connu qu’au moment de la saisie des papiers opérée par Piranesi. Mais on savait à Stockholm qu’il suivait une politique toute contraire à celle du gouvernement suédois et qu’il entretenait des rapports avec la Cour de Russie et ses agens à