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argumens des accusateurs, ces malheureux opposaient des dénégations énergiques et irréfutables. L’embarras du gouvernement devenait plus grand de jour en jour. Le bruit commençait à se répandre qu’il serait obligé d’abandonner les poursuites ; on s’en réjouissait ; un profond revirement s’était fait dans l’opinion de plus en plus indignée de la véritable cause des persécutions exercées contre Mlle de Rudenschold, cause déshonorante pour le Régent et que personne n’ignorait plus. Mais, à ce moment, c’est-à-dire au commencement du mois d’avril, se produisit un coup de théâtre. A Florence, Piranesi était parvenu à s’emparer des papiers d’Armfeldt laissés à la garde de lord Harvey, le ministre d’Angleterre, et il les envoyait à son gouvernement.

Dans l’épisode que nous racontons, le vol de ces papiers rappelle les actes de brigandage si fréquens en Italie à l’époque de la Renaissance et les personnages qui l’accomplirent apparaissent comme les héritiers des sicaires d’autrefois : ils en ont les mœurs, les habitudes et usent des mêmes moyens. Tandis que Piranesi lançait derrière Armfeldt des espions et des spadassins, il avait entrepris de découvrir en quel lieu étaient déposées les correspondances privées que recevait le représentant de la Suède. Un hasard le lui apprit. Avec la complicité de Lagersvard, il intercepta une lettre que lady Anne Hatton écrivait à Armfeldt et il sut ainsi que le précieux dépôt dont il avait tant d’intérêt à s’emparer était à la Légation d’Angleterre à Florence, dans la chambre de lord Harvey.

Celui-ci allait partir pour Naples, en laissant les papiers aux mains de sa sœur qui ne devait le suivre qu’un peu plus tard. À ce moment, ils étaient officiellement réclamés au grand-duc de Toscane par le gouvernement suédois. Mais Piranesi, prévoyant qu’il ne serait pas fait droit à cette requête, prit ses mesures pour conjurer les effets d’un refus. Deux de ses agens partirent pour Florence, s’abouchèrent avec l’un des serviteurs du diplomate anglais et le décidèrent à prix d’argent à trahir son maître. Lord Harvey s’était mis en route le 2 février. Le lendemain, le domestique tirait les papiers de l’armoire dans laquelle ils étaient enfermés et les apportait chez l’un des envoyés de Piranesi. Tout ce que contenait l’enveloppe fut aussitôt expédié à Home, remplacé par de vieux papiers et le paquet remis en place sans que personne à la Légation pût soupçonner