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Quant à Madeleine de Rudenschold, les démarches faites pour lui éviter la pire des humiliations avaient été vaines. Vêtue de bure, les bras chargés de chaînes, elle fut exposée le 24 septembre sur la place de la maison des Nobles. Aux termes de la condamnation, elle aurait dû avoir un carcan au cou. Mais, plus clément que les juges, le bourreau lui épargna ce supplice. Elle supporta pendant une heure celui qu’on lui imposait, voyant défiler autour d’elle une foule apitoyée, des femmes en larmes, des hommes qui murmuraient et ne dissimulaient pas leur colère contre le Régent et contre Reuterholm. Quand ce fut fini, on l’emporta évanouie dans la prison des femmes perdues où elle devait être enfermée à perpétuité : le duc de Sudermanie était vengé. Tel fut, en ce qui touchait les condamnés, le dénouement de cette affaire scandaleuse dont des haines atroces et les imprudences d’Armfeldt avaient été le mobile. Le gouvernement de la régence n’en sortait pas grandi. Dans toutes les Cours, sa conduite n’excita qu’horreur et mépris.

Pendant que se déroulaient ces douloureux événemens, Armfeldt était à Kalouga, oisif, rongeant son frein, irrité de se sentir inutile et redoutant que sa destinée ne le vouât à l’oubli. Mais, plus heureux que son ancienne maîtresse, il avait conservé sa liberté. Resté debout et au milieu des anxiétés qui le dévoraient, il pouvait espérer qu’il prendrait un jour sa revanche. Il était dans sa nature de se consoler aisément de ses plus grands chagrins et d’être indulgent envers lui-même quant aux fautes qu’il avait à se reprocher. Par ce que nous savons de son existence à cette époque, nous sommes en droit de supposer que les malheurs de Madeleine de Rudensehold excitaient déjà les remords qu’on l’entendra exprimer à son retour en Suède. Mais, depuis qu’il était séparé d’elle, trop d’aventures avaient traversé sa propre existence pour que l’amour embrasât encore son cœur. Lorsqu’il pensait à Madeleine, c’était uniquement pour s’apitoyer sur son propre sort. Son héroïque femme et ses enfans étaient auprès de lui : leur présence et leur tendresse lui assuraient des jours paisibles, sinon complètement heureux. Grâce à la tranquillité de son foyer, il attendait sans trop d’impatience que Gustave IV eut atteint sa majorité et, en montant sur le trône, rappelât auprès de lui les anciens amis de son père, persécutés et proscrits par le Régent et Reuterholm.

Ce jour impatiemment attendu arriva le 1er novembre 1796.