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À cette date, Gustave IV prend possession du pouvoir, le duc de Sudermanie abandonne la direction des affaires et se condamne à la retraite, bien loin de prévoir qu’à douze ans de là, en 1809, une révolution l’en fera sortir et mettra sur sa tête la couronne arrachée à son neveu ; Reuterholm est chassé de la Cour que, durant trois ans, il a tyrannisée, et la Suède salue avec enthousiasme, dans la personne du jeune successeur de Gustave III, l’aurore, pleine de promesses, de l’ère nouvelle qui vient de s’ouvrir.

Il semble que l’heure est propice pour ramener Armfeldt dans son pays. Mais, averti que le Roi est encore prévenu contre lui et que, s’il demande l’autorisation de rentrer on Suède, il est à craindre qu’elle ne lui soit refusée, il ne se hâte pas de la demander. Il se contente un peu plus tard de faire partir sa femme pour Stockholm : c’est elle qui plaidera sa cause, si c’est nécessaire, et préparera son retour.

La baronne d’Armfeldt avait laissé en Suède la réputation d’une femme passionnément dévouée à ses devoirs d’épouse et de mère. Son inépuisable patience ; envers son mari, son courage dans l’infortune avaient accru l’estime dont elle jouissait jadis. Elle en eut la preuve en reparaissant à la Cour. De toutes parts, elle recueillait des hommages. Ceux du Roi ne furent pas les moins éclatans. Il venait de se marier et, après la rupture de ses fiançailles avec la grande-duchesse Alexandra, petite-fille de Catherine, d’épouser la princesse Frédérique de Bade, sœur de l’impératrice Elisabeth, femme d’Alexandre Ier. Pour témoigner à la baronne d’Armfeldt les sentimens qu’elle lui inspirait, il la nomma en 1799, après la naissance du prince royal, grande maîtresse de la maison de la Reine ; en même temps, supplié par elle de laisser revenir l’exilé, il donna son consentement à ce retour.

Armfeldt avait déjà quitté Kalouga pour entreprendre un voyage à travers l’Europe et revoir les pays qu’il avait parcourus aux jours brillans de sa jeunesse. En se rappelant qu’il avait alors quarante-quatre ans, on serait autorisé à penser qu’il ne possédait plus les mêmes illusions qu’autrefois, ne serait plus exposé aux entraînemens dont nous l’avons vu subir l’influence. Il n’en est rien cependant : la fidélité conservée à sa femme, durant l’exil en Russie, allait se briser au premier écueil rencontré sur son chemin.