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A Carlsbad, il retrouva la duchesse de Courlande qu’il avait connue antérieurement et de laquelle il disait qu’elle était « bonne et douce comme un ange. » L’amitié ébauchée entre eux se renoua et devint promptement une intimité de toutes les heures. La duchesse, veuve depuis longtemps, était là avec ses quatre filles Wilhelmine, Pauline, Jeanne et Dorothée. On sait que celle-ci devint un peu plus tard duchesse de Dino, alors que ses sœurs étaient mariées et l’une d’elles, Wilhelmine, au prince Louis de Rohan, émigré français, sans fortune, dont la résidence habituelle était à Vienne. Séduit par le charme de ces délicieuses femmes à qui manquaient un protecteur et des conseils. Armfeldt se considéra bientôt comme de leur famille. Lorsque, à la fin de la saison, la duchesse de Courlande regagna son château de Lobichau en Allemagne, il l’y suivit. Le bruit courut alors qu’il était son amant. Mais ceux qui le disaient se trompaient. Bien qu’elle le comblât d’attentions, voire de cadeaux, et qu’elle lui eut confié la direction de ses affaires, il n’était pour elle qu’un ami. C’est à sa fille, celle qui épousa Louis de Rohan, que son cœur s’était donné, malgré la différence des âges. Quadragénaire, il avait conçu une ardente passion pour cette adolescente de dix-neuf ans et celle-ci y répondait :

« Oui, j’ai aimé, lui écrivait-il, ce sentiment était inséparable de ma vie ; mais je ne croyais pas qu’après avoir atteint l’âge où le calme doit succéder aux passions, mon cœur put encore brûler, comme il brûle pour loi… Je m’étais flatté de la pensée vaniteuse que je pourrais développer ton caractère et ton cœur. Je me suis perdu moi-même et je me suis laissé aller à un sentiment qui, avant, avait déjà agi sur moi et qui a toujours fini par me rendre esclave plutôt que maître. C’est dans cet état d’esprit que je veux lire dans tes yeux et entendre ta bouche me dire que je suis aimé. Je peux à peine le croire ; mais, hélas ! la faiblesse de la nature humaine est telle qu’on croit toujours ce que l’on désire. »

On s’explique maintenant les quelques lignes que, dans ses souvenirs d’enfance, la duchesse de Dino a consacrées à notre personnage : « Ma famille tout entière était sous le charme de ce baron d’Armfeldt, si fatal au repos de ceux dont il se disait l’ami. Il gouvernait despotiquement notre intérieur ; mais son règne fut court et ne laissa d’heureux souvenirs que dans ma vie. » telle veut dire par là qu’Armfeldt lui apprit à lire et