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indéfiniment au service. Sauf de rares exceptions, le noir, une fois la trentaine dépassée, galope vers la décrépitude. Dix ou douze années de régiment, voilà ce qu’il convient d’en attendre, mais pas davantage.

Si l’on tient au recrutement bambara, si d’autre part on élimine les tirailleurs trop âgés ou les recrues non dégrossies, il est facile de voir que les ressources, pendant quelques années, seront assez restreintes. Le gouverneur général de l’Afrique occidentale française, M. William Ponty, s’est bien vite aperçu qu’avant de songer à former des brigades en Algérie, le bon sens voulait que l’on créât au Sénégal un véritable réservoir pour sélectionner les indigènes appelés à servir au loin et pour assurer leur relève dans les conditions normales. Quelques semaines passées à Dakar ou à Saint-Louis montrent combien les anciens erremens étaient défectueux. L’armée coloniale ne possède pas de loi des cadres ; un simple décret suffit pour augmenter ou réduire ses effectifs. Ce procédé paraît très souple et bien fait pour répondre à toutes les éventualités qui se produisent d’un jour à l’autre. Malheureusement, la question budgétaire intervient dans tous les cas pour retarder les mesures les plus urgentes. La colonie du Sénégal a dû fournir, dans un délai très court, des unités nouvelles pour rétablir des situations troublées en Mauritanie, à la Côte d’Ivoire, au Congo. L’autorité militaire ne pouvait répondre à toutes les demandes qu’en désorganisant ses corps de troupe. Le 1er  régiment sénégalais se trouva dispersé pendant longtemps de Port-Étienne au lac Tchad ; la garnison de Dakar fut parfois réduite a deux compagnies d’employés et de malingres. On était obligé d’accepter tous les engagemens, d’incorporer à la hâte des tirailleurs trop jeunes ou des miliciens, de faire partir des soldats fatigués par deux ans de colonnes. Sans le retour du 3e régiment, définitivement rapatrié de Madagascar, un des bataillons demandés par le Maroc n’aurait jamais pu se former. De tous ces mouvemens de va-et-vient, la faiblesse du commandement et de l’instruction n’a pas été le seul mauvais résultat. Les tirailleurs se sont lassés. Ils ne partent plus qu’avec répugnance pour certaines colonies. La Côte d’Ivoire et la Mauritanie n’ont plus rien qui les attire. Si l’on n’y prend pas garde, si l’on n’assure pas aux soldats noirs quelques périodes nécessaires de repos dans leurs pays d’origine, on peut appréhender une véritable crise