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garçons vivent alors « sur le pays, » et, grâce aux mœurs assez libres des populations, sont assurés de ne pas vivre dans la solitude.

Ce qu’il faut retenir comme un fait indiscutable, c’est que le noir ne se passe pas de femme. Il y goûte assez jeune, et cette précocité n’est pas une des moindres causes de l’usure physique et de la déchéance intellectuelle des nègres. L’enfant est, là-bas, un être vif, intelligent, débrouillard. Il apprend vite à lire et à écrire. Mais, vers quinze ans, on assiste presque toujours à sa régression vers la barbarie. Son attention ne s’éveille plus, son ardeur au travail décline et bientôt la paresse l’engourdit et le livre aux plus mauvais instincts. Vous avez dans votre poste un jeune interprète ; il connaît trois ou quatre dialectes africains et fait, dans la langue française, des progrès remarquables. Presque du jour au lendemain, le voici qui se néglige. Il se lève tard, perd la mémoire, abrège les heures de classe des enfans du village ; il cherche des excuses pour ne pas vous accompagner dans les tournées ; au cours des enquêtes, il perd le fil de l’idée, bredouille, étouffe des bâillemens. Ne cherchez pas plus avant, la femme a passé dans sa vie. Dans la plupart des cas, le mal est incurable, et se prolonge jusqu’à l’extrême vieillesse. Dans tous les villages que l’on traverse, le chef vous offre une femme en même temps que le poulet, le beurre et les œufs. Partout on trouve « la femme de la caravane » qui remplit au continent noir un rôle social tout naturel.

L’Islam n’a malheureusement pas réformé ces mœurs, et c’est d’ailleurs un secret de sa progression parmi les populations primitives. L’idéal qu’il propose ne gêne pas les anciennes habitudes ; bien mieux, il les consacre et les exaspère en les faisant continuer dans une vie meilleure de l’au-delà. Aussi l’instinct de la reproduction se donne-t-il libre carrière et revêt-il en Afrique le caractère le plus matériel. Les Maures et les Touareg s’allient sans répugnance aux femmes noires, les tirailleurs bambaras prennent des femmes peuhl ; Madagascar fut pour eux une terre d’élection, une patrie nouvelle qui leur faisait oublier bien vite les rives du Niger et les paradis enchantés de Siguiri et de Kankan ; la femme hova ou sakalave était agréable et facile et cette considération primait tout à leurs yeux. Il ne faut pas s’étonner de trouver dans toute l’Afrique occidentale ce métissage qui déconcerte, car il