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civilisés. On crut bien l’avoir résolu par le choix des garnisons-du bataillon d’Algérie. Les oasis du Sud-Oranais rappelleraient aux indigènes, croyait-on, les paysages de leur patrie. On oubliait qu’en les fixant dans des régions pauvres, la subsistance de leur famille serait, pour eux, un souci de tous les instans. La vie, dans le Sud-Oranais, est très chère ; le pays ne produit à peu près rien ; il n’y a pas de bétail puisqu’il n’existe pas le moindre pâturage ; on cultive les légumes de France dans les jardins des palmeraies, mais leur prix les rend à peu près inabordables aux « moussos » des tirailleurs. Les poulets se vendaient 4 francs en 1910, le poisson n’arrivait qu’en hiver, trois fois la semaine, par le train d’Oran, au prix minimum de 0 fr. 75 le kilogramme ; le kilogramme de riz était à 0 fr. 40 et la solde du tirailleur, en dehors de sa ration personnelle[1], était de 0 fr. 60 ! Or, les indigènes de la compagnie saharienne de Colomb, vivant en smala, touchaient, par jour, 2 fr. 50 et ne se recrutaient que d’après ce tarif. Bref, nos tirailleurs noirs étaient dans la misère.

Alors, on a cherché pour eux des conditions meilleures. Le deuxième bataillon noir tiendra garnison dans le Tell, au bord de la mer ; évidemment, cette mesure sera bonne, puisque nos tirailleurs y trouveront une des bases de leur nourriture, le poisson, très abondant sur le littoral de l’Algérie. Mais le voisinage ; des villes sera, pour eux, l’occasion de tentations continuelles ; des besoins nouveaux se feront sentir chez ces grands enfans et on peut craindre qu’en prenant le contact des populations européennes, ils ne dépensent en alcool l’argent qui leur servait dans le Sud-Oranais aux achats de première nécessité. On tourne dans un cercle bien difficultueux : dans le Sud, la solde est trop faible ; dans le Nord, les tirailleurs perdent leur valeur utilisable. Et si l’on augmente leurs allocations, le prix de revient de ces bataillons sera tellement élevé qu’ils deviendront pour le budget une lourde charge.

Les partisans de l’armée noire ont fait ressortir les avantages que nous aurions, en temps de paix comme en temps de guerre, à maintenir des divisions sénégalaises dans l’Afrique du Nord. En temps de paix, elles remplaceraient les contingens européens dont la place est tout indiquée en France où

  1. Riz : 0kg, 500, viande : 0,400, sel : 0,020, café : 0,016, sucre : 0. 021, saindoux, 0.020.