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se trouveraient compromises. Sans doute, on recrute fiévreusement de nouveaux bataillons algériens. Mais on n’arrivera pas à satisfaire aux demandes si l’on ne crée pas rapidement de nouvelles unités sénégalaises.

Nous ne referons pas ici l’historique des services rendus par les trois bataillons noirs envoyés successivement au Maroc ; les formations levées à la hâte se sont montrées, comme en Algérie, légèrement au-dessous de leur réputation ; le dernier bataillon rapatrié de Madagascar et composé de vieux tirailleurs a, en revanche, fait des prodiges. En tout, cas, le pourcentage des maladies a été insignifiant chez les Sénégalais, alors que la fièvre typhoïde a littéralement décimé l’infanterie coloniale et les autres contingens européens. Deux nouveaux bataillons s’embarqueront au mois de juillet à Dakar ; un troisième les suivra bientôt. Le Maroc aura donc une brigade noire en attendant qu’il réclame une division.

Dès lors, il ne saurait plus être question de poursuivre en Algérie une expérience dont le bénéfice échappe à tous les esprits. A quoi bon conserver dans l’inaction tant de forces vives au lieu de les jeter, à pied d’œuvre, dans un pays neuf où, pendant longtemps encore, il faudra continuer la guerre ! Pourquoi s’obstiner à soumettre les tirailleurs au climat extrême du Sud-Oranais ou à la vie, pour eux déprimante, des garnisons du Tell ? Toutes les ressources actuelles du Sénégal et du Soudan vont être absorbées par l’expédition du Maroc et, pendant bien des années, le gouvernement de l’Afrique occidentale devra faire flèche de tout bois pour former des bataillons présentant quelque valeur et les relever en temps utile.

La question de l’armée noire est donc reléguée au rang des préoccupations lointaines ; les troupes sénégalaises constituent un élément de la force expéditionnaire ; on pourra s’en servir pour amorcer la création d’une armée d’occupation permanente, mais à condition de procéder avec prudence et méthode, en suivant un plan rationnel et en réservant à cette armée les seuls territoires qui lui reviennent. La jonction du Sénégal et du Maroc est une nécessité d’ordre politique et stratégique : voilà quelle est vraiment la zone d’action des troupes qu’on voulait immobiliser dans des garnisons perdues au milieu des terres infidèles. Nous faisons la conquête du Maroc, mais notre situation y sera toujours précaire si nous commettons la faute de ne