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actuel de nos connaissances, se dessinèrent les premiers linéamens de nos écoles provinciales d’architecture.

Or c’est aux représentans de l’une de ces écoles qu’il faut, à notre sens, faire honneur d’avoir retrouvé le secret de la statuaire. Les premières statues occidentales, sculptées sous les trois dimensions, furent exécutées dans les provinces du centre de la France, et c’est à une l’orme originale prise par le culte des reliques qu’on doit cette innovation.

Il est inutile d’insister sur la place prépondérante que la vénération des « corps saints, » comme on disait alors, tenait dans les préoccupations des hommes depuis les premiers siècles de l’ère chrétienne. Des pèlerins de toute race et de tout pays n’hésitaient pas à entreprendre les voyages les plus périlleux pour aller vénérer les reliques qui reposaient dans les sanctuaires célèbres, à Rome, à Constantinople, en Palestine. Chaque monastère, chaque église cherchait à posséder quelques parcelles de ces trésors, et Charlemagne passait pour avoir envoyé, dans toute l’Europe, des moines chargés d’en récolter. Les corps des saints étaient ensevelis à l’origine dans des sarcophages précieux, mais de très bonne heure on prit l’habitude, blâmée par Guibert de Nogent, d’en séparer certaines parties et de conserver à part quelques pièces de leurs vêtemens. Ces fragmens furent en général déposés dans des chasses (capsæ, arcæ) : c’étaient des sortes de coffres analogues à de petits sarcophages, dont la cuve rectangulaire était surmontée d’un toit à double rampant. Tel est l’usage universel suivi dans la chrétienté depuis une époque très reculée, comme le prouve le curieux reliquaire de Saint-Trophime du musée de Brousse : ce petit monument, que l’on date du IIIe siècle, est la reproduction à très petite échelle d’un sarcophage de type asiatique[1].

Mais par une innovation qui, nous allons le voir, parut aux contemporains une grande hardiesse, il arriva que, dans certaines provinces reculées du Massif central et du midi de la France, on eut l’idée de conserver les reliques dans l’intérieur de statues qui représentaient le saint même auquel elles appartenaient. Ces statues-reliquaires, exécutées en bois recouvert de métal, sont les premières œuvres qu’on ait modelées dans l’espace depuis la fin de l’antiquité. Par un hasard exceptionnel

  1. Mendel, Catalogue du Musée de Brousse, Athènes. 1908, n° 102.