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Bossuet toujours vaticinant, tonnant et foudroyant, ou un Corneille enfin constamment éloquent, tendu, pompeux, déclamatoire et sublime. » Lui-même ne fut-il pas la victime de cette erreur d’optique qui nous fait apercevoir l’homme à travers son œuvre, et prendre le tour de son style pour la tournure de son caractère ? On nous représente toujours un Brunetière grave, guindé, gourmé, juché sur la tradition, absorbé dans le souci de ses formules et dans la contemplation de ses dogmes, tantôt rendant des oracles et tantôt s’armant de sa férule pour écarter les auteurs rebelles au joug de son dogmatisme. Tout au rebours, ce fut un des esprits les plus libres qu’ait connus notre temps, curieux de toutes les nouveautés, ouvert à toutes les hardiesses de la pensée moderne, — et doutant de lui-même, au point de prendre le contre-pied de sa propre opinion quand il croyait en avoir trop aisément persuadé son interlocuteur. Ajoutez une sensibilité délicate et souffrante, une perpétuelle inquiétude, et aussi, pour compléter et équilibrer le portrait, une simplicité de manières, des saillies de belle humeur, un élan et une fidélité d’amitié qui ne s’expliquaient que par ce qui fut le trait dominant de sa nature, et à quoi tous ceux qui l’ont fréquenté le reconnaîtront ! la bonté. C’est un portrait qu’il faudra faire ou refaire dans quelques années. On me pardonnera d’avoir donné en passant cette indication. Tout mon dessein n’était que d’attirer l’attention sur quelques portraits d’une touche neuve et vive qui ça et là, dans cette histoire, éclairent et égaient la trame du récit. Je renvoie au portrait de Descartes, un original, un bizarre, presque un malade, ou à celui de Bossuet, modeste, simple et doux.

Après cela, par quel heureux concours de circonstances et par quelle rencontre d’élémens, qu’on n’a pas vus chez nous une autre fois réunis, le XVIIe siècle s’est-il trouvé donner la plus complète et la plus exacte expression de notre génie ? c’est tout le livre de Brunetière. Est-il besoin de dire que tout ce livre tend à maintenir ou rétablir le XVIIe siècle à la place qu’une juste admiration lui avait toujours assignée et qu’on lui conteste aujourd’hui pour des raisons qui n’ont rien de littéraire : « Le grand siècle, c’est le XVIIIe siècle que je veux dire… » le mot, qu’on prête à Michelet, a servi de mot d’ordre à un parti qui ne saurait admettre que le siècle de Voltaire et de Rousseau le cède à aucun autre, mais surtout à celui de Pascal et de Bossuet. Brunetière, dans son enseignement, ne cessait de protester contre cette entreprise intéressée qui, déplaçant le centre de notre littérature, rendrait inintelligible l’histoire de son développement. Encore ne réserve-t-il qu’à une très courte période, qu’il appelle « l’âge classique, » l’honneur d’avoir