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Ou bien encore ceci, dans une lettre du 4 août 1783 :


J’ai en ce moment deux chardonnerets, qui, pendant l’été, habitent la serre. Il y a quelques jours, m’occupant à nettoyer leurs cages, j’avais mis sur la table celle que j’étais en train de nettoyer, tandis que l’autre pendait au mur ; les fenêtres et les portes étaient grandes ouvertes. A mon retour de la pompe, où j’étais allé remplir la baignoire de l’oiseau, j’eus l’extrême surprise de voir un chardonneret assis sur le toit de la cage dont je m’occupais, et chantant à l’oiseau de la cage, et le caressant. Je me suis approché, et le chardonneret étranger n’a laissé voir aucune frayeur ; encore plus près, et toujours aucun signe d’effroi. J’ai étendu ma main vers lui sans qu’il essayât de résister, je l’ai pris, et j’ai été certain d’avoir attrapé là un nouvel oiseau : mais en levant les yeux sur l’autre cage, j’ai reconnu mon erreur. L’habitant de cette cage, pendant mon absence, avait réussi à s’enfuir, par l’ouverture que lui offrait l’un des barreaux, qui s’était un peu tordu ; après quoi l’oiseau n’avait profité de sa délivrance que pour venir saluer son ami, et s’entretenir avec lui d’une façon plus intime qu’auparavant. Je l’ai ramené dans sa demeure propre : mais en vain. Moins d’une minute après, de nouveau il avait glissé sa petite personne par la même ouverture, et de nouveau il s’était perché sur la cage de son voisin, le caressant, et chantant à pleine gorge, comme si l’heureuse aventure l’avait transporté de plaisir. Je ne pouvais que respecter une amitié aussi touchante : si bien que, consentant a l’union de mes deux pensionnaires, j’ai décidé qu’à l’avenir une seule cage les contiendrait tous les deux. De tels incidens sont pour moi une vraie bonne fortune : car non seulement ils me ravissent par soi-même, mais, en outre, lorsque ensuite j’ai par trop besoin d’un divertissement, je m’ingénie à les mettre en vers, et cela me procure quelques heures de repos.


D’autres fois, Cowper nous raconte les événemens mémorables d’Olney. Le 17 novembre 1783, toute la petite ville est venue assister au châtiment d’un jeune drôle, qui avait volé certains « ustensiles de fer » à M. Griggs, le boucher. « Dûment convaincu, il a été condamné à subir le fouet. On l’a attaché derrière une charrette, et il a eu à marcher ainsi, d’un bout à l’autre de la place, pendant que le bedeau procédait à l’exécution. Le gaillard semblait montrer un courage merveilleux : mais tout cela n’était que tromperie. Le bedeau avait rempli sa main gauche d’une solution de couleur rouge, où, après chacun de ses coups, il trempait son fouet : de telle sorte qu’il laissait sur la peau du condamné l’apparence d’une entaille rouge, alors qu’en réalité il ne lui faisait aucun mal. Cependant le constable, qui suivait le bedeau, a fini par s’apercevoir delà comédie : sur quoi ce fonctionnaire a frappé de sa canne les épaules du trop compatissant exécuteur, et, cette fois, sans l’ombre d’un ménagement ni d’une précaution du même genre. Aussitôt la scène est devenue