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beaucoup plus intéressante. Le bedeau, qui sans doute s’était engagé à ne point frapper fort, continuait à user d’une extrême douceur, ce qui provoquait le constable, lui, à user de plus de rigueur dans les coups qu’il donnait au bedeau ; et ainsi cette double exécution se poursuivait, jusqu’au moment où une demoiselle du bas de la ville, prise de pitié pour le compatissant bedeau qu’elle voyait souffrir sous les mains de l’impitoyable policier, est venue se joindre, elle aussi, à la procession, et, se plaçant derrière le constable, l’a saisi par les cheveux, et l’a souffleté avec l’ardeur d’une véritable amazone. Cet enchaînement de faits m’a pris plus de papier que j’avais eu d’abord l’intention de lui en accorder : mais comment aurais-je résisté au désir de vous informer de la manière dont le bedeau a battu le voleur, le constable battu le bedeau, la dame battu le constable, et de quelle manière le voleur a été la seule de ces diverses personnes qui n’eût ressenti aucun mal ? »


Mais que l’on ne se représente pas les lettres de Cowper comme toutes remplies seulement de ces petits tableaux, qui cependant y surgissent devant nous à chaque instant avec une abondance et une variété surprenantes, entremêlés de nobles ou gracieux paysages, — les plus beaux, peut-être, qu’ait jamais produits la prose anglaise ! C’est avant tout le cœur et l’esprit du poète qu’il nous plait de voir s’épancher librement, dans l’immortelle série de ses lettres ; et je ne saurais assez dire à quel point l’un et l’autre nous y apparaissent à la fois vivans et profonds, différens de ce que l’on pourrait attendre d’une espèce de vieil enfant qu’une maladie mentale incurable a toujours gardé à l’écart du commerce des hommes. Littérature et théologie, actualités de la politique et problèmes éternels de la destinée, sur tout cela ces lettres de Cowper nous apportent une foule d’aperçus d’autant plus précieux qu’ils risquent moins d’avoir subi le poids d’une influence étrangère : car l’ermite d’Olney n’a pas même de livres, pour lui tenir compagnie dans sa solitude ! Tout au plus sa prodigieuse mémoire lui permet-elle de demeurer, jusqu’au bout, en contact familier avec l’œuvre des poètes anciens et modernes : de telle sorte que ses nombreux jugemens sur Shakspeare et Milton, plus tard sur Homère, — lorsque son besoin de « divertissement » l’aura poussé à entreprendre la traduction de l’Iliade et de l’Odyssée, — comptent aujourd’hui à bon droit parmi les pages les plus autorisées de la critique littéraire, dans son pays. Pareillement, toutes les questions scientifiques de son temps lui fournissent un sujet inépuisable de réflexions toujours ingénieuses, attestant l’ardeur passionnée de sa curiosité. L’invention des ballons,