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constructions navales et leurs journaux annoncent très imprudemment que, dans quelques années, elles seront maîtresses de la Méditerranée. Un mauvais vent de mégalomanie souffle sur le monde. Les budgets fléchissent sous le poids des dépenses militaires, et il faut pourtant en faire davantage. Ce n’est ni l’Angleterre ni nous qui avons donné le signal de cette course folle qui nous emporte tous. Comment s’empêcher d’y prendre part ? Celui qui s’arrêterait, celui qui tomberait, serait foulé aux pieds et écrasé. A qui la faute si le XXe siècle commence ainsi ?


Le nouveau ministère turc a pris enfin son parti de dissoudre la Chambre : tout ce qu’on peut dire pour le moment de sa résolution, c’est qu’elle aurait gagné à être arrêtée et exécutée plus tôt. Les scrupules du ministère ont leur explication et leur excuse dans le désir qu’il avait de respecter la Constitution, ou du moins de ne pas la violer trop ouvertement. Il fallait trouver un biais, il l’a trouvé, on le trouve toujours en pareil cas. S’inspire-t-il vraiment de l’esprit de la Constitution ? Ce sont là des mots bien solennels : ils s’appliquent mal à la situation actuelle de la Turquie. L’ancien ministère gouvernait par la force : on peut se demander si c’était là aussi se conformer à l’esprit de la Constitution. Cette fois, la situation a été plus forte que les volontés, qui ont été faibles, hésitantes, tâtonnantes. Pendant quelques jours le ministère a ménagé le Comité Union et Progrès, a paru le craindre, a négocié avec lui. Alors, ce qui devait arriver est arrivé. Le Comité a repris confiance en lui-même et sa confiance s’est bientôt changée en arrogance. A quelques jours de distance, il a fait émettre par la Chambre un ordre du jour favorable au Gouvernement, puis il a poussé ses principaux orateurs à interpeller le ministre de la Guerre, passant d’une défensive sans dignité à une agression sans prudence. Pendant ce temps, la révolte albanaise prenait un caractère de plus en plus menaçant et la première revendication des Albanais était la dissolution. Le gouvernement, n’ayant pas pour le moment les moyens de réduire l’insurrection, a dû plier devant elle. Il s’est entendu avec le Sénat pour dissoudre la Chambre. Celle-ci a essayé de se défendre : elle a trouvé le vide devant elle. Quand le ministère est venu lire le décret de dissolution, il a trouvé le vide devant lui : la Chambre avait émis en blanc un vote de défiance et s’était séparée en chargeant son président de la convoquer quand le moment serait venu. Le président est allé faire part de ces votes au Sultan : il s’est heurté à une porte fermée. Dans ce duel nouveau-jeu, chacun des deux adversaires a tiré