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fût utilisée pour greffer, avec l’audace dont Talleyrand avait fait preuve à Vienne, la question franco-allemande sur les discussions prévues par le programme. C’est pour ce motif que j’ai mis en œuvre les influences du dehors et celles du pays pour empêcher Jules Favre d’assister à cette conférence. » L’idée de coalitions possibles donnait de mauvais rêves à Bismarck. Ni l’Angleterre, ni l’Autriche, ni la Russie n’osèrent transformer ces rêves en réalités.

Quant à croire que le chancelier allemand préparait la restauration de Napoléon III en lui offrant pour gage de réconciliation la Belgique et en se réservant la Hollande, c’est le bruit qui a couru à l’époque, mais rien de probant ne l’atteste.

La délégation de Bordeaux fit remarquer à l’Angleterre la portée considérable des menaces de Bismarck contre le Luxembourg. Elle montra l’Allemagne prête à saisir les bouches du Rhin et à détruire d’un geste le système des ports neutres ; mais le gouvernement anglais ne s’émut pas. Lord Granville se borna à pressentir le gouvernement allemand sur la réunion d’un Congrès. Bismarck répondit qu’il serait inutile, car on ne pourrait y parler ni de l’armistice avec ravitaillement, ni de la paix sans cession de territoires. Il ne laissait voir aucune des inquiétudes qui le tourmentaient, et on fut assez aveugle pour ne pas les deviner. L’Angleterre avait cru tendre la perche à la Défense nationale en l’invitant à la conférence de Londres, mais le gouvernement français ne le comprit pas. Obéissant à une sentimentalité inopportune, Jules Favre, malgré l’avis de Gambetta et les conseils de Chaudordy, demeura à Paris pour partager les périls de ses habitans, et le dernier espoir d’une intervention possible en notre faveur s’évanouit. Après six mois de résistance acharnée, la France allait payer une colossale indemnité de guerre et céder l’Alsace et la Lorraine.

Morier reconnaît que ces deux provinces ont toujours été le prix convoité par la Prusse en cas de victoire. Il croit pouvoir affirmer, d’après l’opinion des divers cercles politiques de Berlin, que si l’Europe s’était opposée à cette conquête, les Allemands auraient violé la neutralité de la Belgique et échangé plus tard avec la France les provinces de langue française, Namur, Liège, Hainaut, contre l’Alsace et la Lorraine. Morier se dit très choqué, — much schoked, — par ces révélations qui lui avaient été faites le 17 septembre 1870. Il convient que cette annexion des