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vivait paisiblement, les chevaux avec les chevaux, les veaux avec les vaches, les dindons en tas noir, les poules picorant en tirailleurs.

Les animaux, dans les herbages, mènent une existence harmonieuse et simple. Quand elles ont tondu un petit espace, les sages jumens, pour l’exemple, s’ébrouent et partent, au galop, vers un autre bout du champ, et les poulains s’élancent, sur leurs pattes raides, à la poursuite des tétines maternelles. Au bruit de cette brusque cavalcade, les dindons gloussent, quelques poulets s’effarent, mais c’est à peine si la gent bovine daigne tourner la tête. Vautrés dans la verdure, le poitrail un peu soulevé, les grands bœufs blancs du Nivernais émergent comme des rochers hors de la mer. Ils ruminent, lentement, religieusement. Les veaux blonds ont de gros mufles roses et des yeux de poupées. L’un d’eux, au moment où arrivait Gabriel Baroney et ses neveux, s’agenouilla et tira une énorme langue dont il caressa le cou de sa mère qui ferma les yeux de plaisir.

— Où est-il ? demanda Rolande, penchée sur la barrière et que le taureau seul intéressait.

L’oncle Gabriel étendit le bras.

Bastien, le cou dans les épaules, se promenait, le long de la haie, le long du bois, vers la mare, vers le vieux chêne. Il regardait partout, il écoutait chaque bruit, il surveillait le champ. Ses sabots s’enfonçaient dans le sol, autoritaires : il était chez lui. Tout à coup, se trouvant un peu loin des siens, il s’arrêta, tendit le cou et poussa un bref mugissement pour qu’on vit où il était et pour qu’on sût qu’il n’y avait rien à craindre. Puis il reprit sa tournée.

Les poulains n’aimaient pas beaucoup ces promenades du taureau aux yeux brusques, et les jumens, à son approche, battirent en retraite, d’un mouvement tournant, pour ne pas offusquer leur rageur compagnon. Et cependant, ils le savaient, Bastien n’attaquait jamais les hôtes du champ : il leur demandait seulement de lui laisser la place libre lorsqu’il faisait sa ronde. On le craignait, mais on l’admirait. Il était la force, la décision, l’audace.

— A quelle heure le rentre-t-on ? demanda Rolande inquiète. Quel chemin prend-il ?

Mais l’oncle Gabriel rassura sa nièce. En été, les bêtes vivent aux champs. On ne les rentre pas. D’ailleurs, ni le vent, ni la