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avec son rire fin : « Ç’i là qu’y demeure si qu’t’y aimes bien : ta Lialah. »

La petite hutte ! elle ressemblait bien à un nid d’hirondelle, bâti brin à brin. Elle était un peu branlante au vent, malgré les grands aloès et les cactus bleutés. Un bel amandier sauvage, unique dans la campagne, faisait pleuvoir la neige rosée de ses fleurs sur le toit pointu. L’ingénieuse hirondelle comptait sur l’amandier pour l’ombrage de l’été et les rudes remparts de cactus, qui présentent leurs raquettes plates au vent, l’abritaient des tourbillons si froids de l’Est, des tempêtes venues de l’Atlantique qui font courir au ciel ces rouleaux de nuées noires, grosses des pluies torrentielles.

C’est là, dans les champs de la solitude, que vivait Lialah, celle qui apportait au premier printemps, avec les gerbes d’iris bleutés, le rayon du matin. L’œil embrasse un horizon circulaire de terre nue, un peu vallonnée, où un seul bouquet d’arbres au-dessus du village des Beni-Macada fait une tache d’ombre. En été, c’est le désert : le soleil appelle à lui et dévore toute l’eau, brûle les brousses, les fougères, les lentisques ; c’est comme le ravage d’un incendie où ne restent debout, comme des murs démantelés, que les indestructibles cactus. Quand la brousse brûlée craque et crépite sous le pas des chevaux et que la cendre de la terre vole dans les yeux, on a soif. Mais aux premières pluies, la terre se ranime. Alors, le paysan marocain amène ses bœufs, vient dans les murs de cactus repérer ses champs méconnaissables, ouvrir avec sa charrue l’écorce de cette terre durcie et morte, pareille à une pierre calcinée. Péniblement, le soc de bois l’ouvre enfin aux semailles.

Et quand les grandes pluies sont passées, que le blé pointe, que les acanthes, dans les espaces non cultivés, se lèvent et couvrent le sol de ces grandes feuilles lustrées et découpées qui font toujours penser au couronnement des pilastres dans les temples, alors, c’est l’heureux temps de Lialah, de l’hirondelle ; elle sent venir le printemps, on la voit tresser des chaumes pour réparer les brèches faites dans son toit par les intempéries d’hiver, et un jour, au matin, une petite faucille à la main, elle sort de sa hutte où elle est restée blottie, effrayée, grelottante, toute la mauvaise saison. On la voit alors, seule et blanche, dans les champs.