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blanc qu’on appelle « l’oiseau des bœufs. » Cet oiseau, on ne le voit jamais voler, mais toujours marcher lentement derrière le bœuf dont il épouse tous les pas, comme un page attentif qui suit un maître solennel et indifférent. C’est que le bœuf à chaque coup de queue se débarrasse de moucherons que l’oiseau guette et happe de son grand bec qui s’ouvre et se referme avec un claquement régulier. Ces processions lentes de bœufs et d’oiseaux blancs caudataires ressemblent à un rite secret de la nature qui s’accomplit avec ordonnance.

Après les champs, c’est la large sente, éternellement battue sous les pieds mous et pesans des chameaux. Les longues caravanes couleur de terre ondulent à l’horizon, comme des rouleaux de sable mouvant ; les mules patientes se suivent en longues files mornes sous les vociférations des muletiers. Elles passent… et puis plus rien que le grand silence. Et dans ce renouveau du silence, Lialah, toute mystérieuse sous son haïk, qui porte sur sa tête les fleurs éblouissantes, c’est le printemps qui marche et vient vers nous. Aux buissons de genêts blancs elle s’arrête pour arracher et couper, avec ses dents s’il le faut, les longues grappes folles, souples, qu’elle enlace autour des iris, les grappes blanches comme la neige, légères comme des lianes, caprices d’un matin de printemps, fleurs éphémères qui s’émiettent déjà et font un chemin blanc sous les pas de Lialah en répandant leur odeur un peu sucrée. Et puis, ce sont autour de Tanger les premiers jardins d’orangers où, sur le feuillage dense et lustré, les boutons de cire blanche se gonflent sans s’ouvrir encore, où les dernières oranges se chauffent et se sucrent, et puis les sables dorés qui montent et descendent en grandes vagues au bord de la mer, sur lesquels, l’éperon prêt à mordre, il faut que le cavalier passe vite parce que les chevaux, dans ces sables si doux à leurs pas et qui fléchissent sous eux, sont tentés de jeter d’un coup d’échine impatient le cavalier de côté. Alors, avec jubilation et des hennissemens fous, les quatre jambes en l’air, ils se roulent dans la vague chaude. Enfin voici la mer, la plage lisse, le luisant noir sur lequel glisse le flot, et où les chevaux aiment courir. Les pieds nus de Lialah se reposent et se rafraîchissent quand l’ourlet blanc de l’écume les touche. Tanger est là, qui ferme la plage et dévale comme une seule coulée de roches, lavées de pluies, dans la mer bruissante.