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gnome toujours courbé à terre, qui balaye toujours avec une verge de brindilles mortes toutes les feuilles et les aiguilles des pins qui tourbillonnent. Quand il a fini, il attend et recommence. Lialah attend, les soldats algériens attendent. Pour ces humbles de la vie primitive, tout est attente et habitude. On attend toujours, et rien ne suspend l’attente que la mort. Peut-être qu’il se passera des heures avant qu’une fenêtre s’ouvre. Mais alors une voix française dira : « Ah ! voilà Lialah. » Et Lialah s’avancera, elle écartera son voile, je la verrai debout dans l’allée, ses lèvres avec leurs blessures de tatouage me souriront. Son visage fin, un peu vieilli déjà, se plissera de plaisir. Elle montrera sur sa tête les gerbes des iris, restés raides et luisans dans la floraison humide des genêts blancs. Et baissant la tête, elle me la présentera comme une offrande.

Quand la tempête marocaine a soufflé trop longtemps, quand les jeunes eucalyptus ont tracé sur le sable, du bout de leurs tiges ployées sous la force du vent, des demi-cercles comme font les roseaux sur nos plages, quand on a vu pendant de longs jours, sur la mer, les vagues fouettées par le vent monotone accourir toutes ensemble avec leurs crinières d’écume blanche comme une chevauchée guerrière, quand la maison légère a tremblé sous les grondemens du vent, quand les courriers de France ont apporté tous les jours la rumeur nostalgique des vies chères dont le devoir sépare, ou bien quand ils ont manqué parce que la côte était trop inhospitalière, il y a des matins, au réveil, où le cœur fléchit sous un poids de mélancolie : malheureux celui qui n’a jamais connu le mal du pays ! Une religieuse qu’une obédience avait retenue toute sa vie en Palestine montrait un jour de la terrasse de son couvent de Sion, à Jérusalem, l’horizon bleu où l’on devinait les monts de Moab, la vallée, creusée plus bas que la Méditerranée, au fond de laquelle la Mer Morte roule ses eaux lourdes, et comme on lui disait, regardant l’accord de ses yeux mystiques avec ce paysage où chaque nom lui était sacré : « Ma sœur, vous êtes heureuse ici, sous ce ciel, au milieu de ces souvenirs, » elle répondit : « Oui, mais on regrette parfois les orages de France. »

Les orages de France ! Lequel de ceux qu’une autre obédience retenait, il y a quelques années, dans une de ces villas blanches qui cherchent l’air et la lumière hors du vieux Tanger, lequel