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de ceux-là ne les a regrettés durant les beaux étés arides ? Et quand s’apaise sur le détroit la tempête, et que, déchirant tous les voiles, le soleil brusquement sépare de sa volonté impérieuse « la terre des eaux, » lequel ne regrettait aussi les longs frémissemens incertains des printemps de France ?

Mais en ces jours de mélancolie, deux visions toujours ranimaient le cœur. Sous la fenêtre, j’aimais voir Lialah relever son haïk et montrer ses fleurs transpercées de lumière où le violet, le jaune, le blanc avaient des éclats de verrières. C’était comme après l’orage, un prisme soudain d’arc-en-ciel qui promet la clémence, les bourgeons, les fleurs, les moissons, les parfums dans les jardins.

Et derrière Lialah, au bas des jardins et des vagues de sable, on voyait sur la mer deux grands vaisseaux à tourelles, immobiles sur la houle qui faisait danser les barcasses. A l’arrière, les pavillons haussés sur les hampes invisibles se déployaient. Le vent les ouvrait tout grands. Ils se détachaient avec une précision lumineuse sur l’infinie coupole bleue où les monts d’Espagne ne sont que des ondulations de vapeurs. C’était comme une apparition. Les couleurs de France barrant trois fois en trois colonnes l’espace sans fond semblaient y inscrire un message.

Alors le cœur inquiet des orages de France et de tous les orages croyait entendre la voix qui raffermit un jour un espoir incertain, la voix qui dit : « Hoc signo vinces. »


Lialah ! maintenant que les temps s’accomplissent, que peu à peu les ombres se lèvent devant le signe qui vole sur ta terre d’Islam, tu es le premier être auquel je songe. Tu m’apparais, fantôme blanc, muet, un doigt sur la bouche. Je me souviens du jour où, te trouvant belle et singulière, une jeune fille voulut avec son pinceau de sépia faire ton portrait. Je me souviens de l’air sauvage et timide avec lequel, hirondelle, un matin de printemps, tu passas notre seuil, et de la curiosité effrayée avec laquelle tu observais ton image à mesure qu’elle se dessinait sur le grand papier bleuté. Tes lèvres étaient muettes, mais tu semblais nous aimer et, petit à petit, tu savais nous révéler le mystère de ta vie simple et de ton âme solitaire. Rien qu’avec des signes et l’éclair de tes yeux, tu nous disais, en touchant tes joues creusées : « Ma jeunesse est finie. » Et une fois qu’on voulait avancer sous ton