Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à coup un pan de la tente se releva. Un soldat algérien parut et dit : « C’est le rakkas. » Et nous vîmes Hadj’ Ali qui se pliait en deux pour passer sous les cordages et la porte basse. Il avait l’air d’un gnome, d’un être aquatique, tout ruisselant de pluie, tout sale, tout rapetissé dans la djellab de toile imperméable que l’eau et la boue avaient raidie et qui luisait sur lui avec les reflets irisés comme des écailles, qu’y jetait notre petite lampe incertaine. Il entra presque en rampant, il était méconnaissable. On le fit interroger sur l’état des routes, sur les rencontres qu’il avait faites. Il répondit très vite avec beaucoup de gestes, il riait, je voyais l’éclair de ses yeux et de ses dents blanches.

Le soir, tard, comme le déluge cessait, nous voulûmes respirer un peu dans le camp l’air froid de la nuit de janvier. Notre promenade était embarrassée dans les cordages, les piquets et les petits fossés circulaires que l’on creuse autour des tentes par les mauvais jours, pour que la pluie, glissant sur les toiles, s’y écoule. C’est toujours une impression singulière que de sortir de la tente le soir, à l’heure où le camp s’endort, où les rumeurs une à une s’assourdissent jusqu’au moment où on n’entend plus que les hennissemens espacés des chevaux et les cris lointains et réguliers des gardes qui veillent autour de la petite ville de toile et se jettent ces appels stridens qui sont la sécurité du voyageur et aussi son tourment, son insomnie. Les petites portes de toile s’étaient toutes rabattues et les lumières qui font ressembler les tentes à des lanternes allumées dans la nuit s’éteignaient une à une. Mais un dernier et persistant grattement de guitare résonnait encore et une flamme à l’extrémité du camp nous attira. Hadj’ Ali était là, devant une petite tente encore ouverte, avec deux soldats algériens, tous trois assis sur leurs talons. Ils avaient fait un feu avec des racines de figuier, ces sarmens noueux et biscornus qui brûlent avec des flammes fantastiques, des crépitemens de fusillade et des étincelles qui sautent avec fracas et retombent comme des fusées. Hadj’ Ali délivré de ses écailles se chauffait, grattait sa guitare, grignotait des dattes. Il faisait à son tour le conteur d’histoires, nos soldats l’écoutaient. Il contait avec ces intonations gutturales, cette ardeur et cette gesticulation un peu démoniaques qu’ont entre eux les Arabes qui ne se savent point aperçus. C’est une passion sans cesse traversée de gaités d’en-