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ne vinssent suggérer à Paris l’occupation de quelque île ou la fondation d’un poste sur telle côte écartée. Et ces insinuations commençaient généralement par être bien accueillies. La Direction des Colonies avait un peu de l’esprit aventureux des marins avec lesquels elle voisinait sans cesse. Qu’elle fût dirigée, de 1826 à 1842, par un vieux fonctionnaire de carrière, M. Filleau Saint-Hilaire, ou, après celui-ci, par un parlementaire tel que M. Galos, député de la Gironde, elle se considérait toujours comme la gardienne attitrée de nos ambitions séculaires d’expansion et rêvait de les faire aboutir toutes. Aucun des multiples plans qui s’entassaient dans ses cartons ne lui paraissait complètement négligeable, et comme elle apportait dans ses desseins la persévérance obstinée dont j’ai fourni des exemples, le ministre de la Marine se trouvait toujours prêt à prôner quelque projet d’installation lointaine. Mais si c’était incontestablement au chef de la Marine que revenait le soin de présenter de pareils projets, puis, le cas échéant, de les exécuter, l’ordre d’exécution ne pouvait émaner de lui seul. Le Conseil des ministres devait en connaître, car on sait qu’il était devenu, sous Louis-Philippe, un véritable corps délibérant, et le chef d’un autre département avait, en outre, des droits particuliers à se faire écouter. Toute expédition qui immobiliserait des forces militaires, toute acquisition territoriale qui susciterait peut-être des jalousies, risquait de rompre l’équilibre général des puissances et d’entraîner des complications internationales : aussi appartenait-il aux Affaires étrangères de s’en préoccuper. Or, dès qu’il s’agissait d’entreprises coloniales, les vues du ministère des Affaires étrangères s’accordaient peu avec celles du ministère de la Marine. Les incidens relatés ont permis d’apercevoir la divergence : peut-être convient-il de préciser ses causes.

De toute évidence elle ne provenait pas simplement de ce que l’un des départemens témoignait plus de hardiesse, l’autre plus de défiance prudente ; de ce que l’un envisageait exclusivement les intérêts français, tandis que l’autre songeait aussi aux appétits des rivaux. N’étant point un département politique, la Marine, dans le genre d’affaires qui nous intéressent ici, se souciait peu des conceptions d’ensemble. Sans doute quand on lui parlait des vieilles colonies, elle demeurait assez attachée, par respect ou par habitude, au système trop logique qu’avait légué l’ancien régime ; mais en présence d’affaires nouvelles, elle