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ports entre Londres et Paris. Il estimait aussi, et non sans raison, que les conquêtes coloniales exigent un certain désintéressement en Europe et ne se justifient que par la réunion de diverses conditions. Il déterminait toutefois ces conditions d’une manière trop rigoureuse. En dépit des formes multiples que prenait dès ce moment l’expansion coloniale, il n’admettait l’annexion de territoires un peu vastes que précédée par les entreprises d’un commerce très puissant et suivie, sans délai, par des efforts administratifs considérables, comme par le transport de nombreux émigrans. Or, il jugeait le commerce français chétif, les émigrans hypothétiques et les affaires européennes trop préoccupantes pour permettre une dispersion de forces. Mais s’il faisait un cas insuffisant des ressources coloniales de la France, il admettait les prouesses de ses navigateurs et les ambitions de ses armateurs. Très au fait des progrès de la puissance anglaise, il sentait également que le champ des traditionnels conflits entre grandes puissances se déplaçait et s’élargissait : l’Europe occidentale avait été seule en cause jadis ; l’Orient méditerranéen était entré ensuite en ligne de compte ; voici maintenant qu’on en venait à considérer les parages les plus lointains. Or Guizot était trop bon patriote pour tolérer que son pays se laissât bénévolement distancer, trop imbu de considérations abstraites sur l’équilibre pour ne pas désirer maintenir cet équilibre simultanément dans toutes les régions. Il désirait aussi, sans nul doute, aider des négocians qui représentaient dignement ces classes moyennes considérées comme les solides assises du gouvernement de Juillet. Il devait enfin souhaiter de ne pas heurter obstinément un collègue aussi considérable que l’amiral Duperré. Une série de motifs, dont les uns nous sont explicitement connus, dont les autres se devinent, le portaient donc vers des entreprises coloniales, précisément dans le temps où une série de motifs opposés l’incitaient à l’abstention.

Cette situation n’était pas pour l’embarrasser. Un théoricien dogmatique de son envergure ne pouvait évidemment songer à trancher séparément et empiriquement chaque question particulière, s’agit-il même d’une grande guerre contre les Hovas, mais ne pouvait non plus demeurer dans l’incertitude. Pour en sortir définitivement, il suffisait d’ailleurs de trouver une formule conciliant toutes les tendances et permettant ensuite