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en Russie a-t-elle produit en Europe une impression si vive et donné lieu à des commentaires qui durent encore ? La raison principale en est dans la manière dont M. Poincaré a été reçu. Ce n’est pas ainsi que, d’habitude, on reçoit un ministre, fût-il même président du Conseil en même temps que chargé du portefeuille des Affaires étrangères. Il ne couche pas chez l’Empereur. On ne passe pas de revue en son honneur. On ne déploie pas autour de sa personne, quelque distinguée et sympathique qu’elle soit, un cérémonial aussi expressif. La mesure ordinaire a été dépassée, et elle l’a été, on n’en saurait douter, de propos délibéré. Lorsque, il y a vingt-deux ans, nos navires sont allés à Cronstadt, nous ne nous attendions pas à ce qu’ils fussent accueillis comme ils l’ont été : l’alliance franco-russe est sortie de l’initiative que le gouvernement russe a prise ce jour-là. Il y a eu, toutes proportions gardées bien entendu, quelque chose d’analogue dans cette nouvelle démonstration. Il ne s’agissait pas de faire l’alliance, elle est faite depuis longtemps ; mais, précisément à cause de sa durée, le bruit avait couru qu’elle avait perdu quelque chose de son énergie première. Le gouvernement russe a voulu montrer qu’il n’en était rien, et nous lui en sommes reconnaissant. Son intention a été comprise de tout le monde, et voilà pourquoi le voyage de M. Poincaré a été considéré comme un événement considérable. Il devait dès lors produire et il a produit dans les divers pays des impressions diverses. Nous disions dans notre dernière chronique que la presse allemande en avait parlé avec sang-froid ; nous ne le répéterions pas aujourd’hui. Le gouvernement allemand a été d’une correction parfaite ; il a même montré plus que de la correction, et le salut qu’il a fait adresser en mer à M. le président du Conseil, à l’aller et au retour, est un acte de courtoisie d’autant plus significatif qu’il n’était pas obligatoire. Il a fait preuve de bon goût. Mais l’opinion est devenue de plus en plus impatiente et chagrine à mesure que se déroulaient les incidens du voyage. Certains journaux ont même exprimé l’amertume de leurs sentimens dans ces termes rageurs dont ils ont et dont il faut leur laisser le secret. Qui ne connaît le poids de l’ironie germanique ?

Dans la mauvaise humeur éprouvée par l’opinion allemande il y avait de la déception. La récente entrevue de Port-Baltique a mis une fois de plus en présence deux hommes qui ont de la sympathie l’un pour l’autre et deux souverains qui sont partisans du maintien de la paix ; mais on avait voulu y mettre autre chose, à savoir l’inauguration d’une politique nouvelle dans laquelle l’alliance franco-russe