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même où il exerce aujourd’hui. Maxime au moins a commis ses fredaines à Paris, c’est-à-dire presque dans une autre planète. »

Me Bourin connaissait ces détails et il était prêt à assumer les responsabilités, car il savait que ce serait lui, qui les premières années au moins, dirigerait l’étude de son gendre. Maxime avait senti tout cela, car il n’était rien moins que sot ; mais son intelligence, consciente de son ignorance des affaires, se drapait d’orgueil. C’est ainsi qu’il s’était dit qu’il frapperait l’imagination de la ville en habitant la plus « amusante maison » de La Châtre.

Et Jérôme Baroney, à son habitude, avait suivi le caprice de son fils et il édifiait consciencieusement la villa la plus baroque du monde. Les badauds poussaient chaque jour une pointe vers la gare pour assister aux progrès de ce chef-d’œuvre du mauvais goût. Trois auvens, surmontant l’entrée personnelle, celle de l’étude et l’entrée de service, se rejoignaient en pente douce en un unique toit, coiffé de trois clochetons en forme de bonnet de clown, celui du milieu plus petit que les deux autres, tous trois habillés de briques multicolores. Le bleu dominait le reste de la construction, turquoise et saphir assez heureusement associés et dessinant les plus gais motifs.

— Je veux être un notaire rigolo ! avait dit Maxime à son père. Le matin, je recevrai en pyjama bleu Nattier. Cela se mariera délicieusement avec les blouses de la Vallée Bleue.

Rolande, qui retrouvait son frère dans ces extravagances, avait beaucoup ri, et Jérôme s’était incliné…

Dans le crépuscule, gênée par la pluie et la lueur blafarde du bec de gaz, Marthe regardait « sa maison » qu’elle ne parvenait pas à aimer. Elle n’avait jamais osé faire la moindre observation à Maxime. Elle professait pour son mari la plus fiévreuse admiration. Il avait sur tout de si originales théories ! Il éclipsait si aisément tous les hommes de la ville, jeunes ou âgés ! Cette maison bleue, c’était une boutade de plus. Il n’y avait qu’à applaudir, il n’y avait qu’à sourire. Marthe ne souriait pas. Cette villa tapageuse ne réalisait pas du tout la maison qu’elle avait rêvé d’habiter. Sans être d’une modestie exagérée, elle ne se plaisait pas à attirer les regards sur elle. Elle aurait voulu abriter son amour dans une de ces vieilles maisons telles qu’on en voit encore à La Châtre, retirées au fond de leur cour