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fins et les sourcils bien dessinés ! Marthe adorait sa nouvelle poupée, cette gentille Marie-Paule, « Paulette, Paulinette, Linette, Nénette, » qui bientôt aura un an.

Un an déjà ! Quel grand personnage ce sera dans six semaines. Marthe souriait à sa chambre de jeune fille, aux oiseaux des îles, aux fleurettes bleues qui l’entouraient, à sa mignonne fillette dont les petits poings à fossettes faisaient deux taches roses sur la couverture de laine blanche. Elle souriait et cependant un souvenir tout à coup lui traversait l’esprit, le souvenir de la Grande Salle où, de génération en génération, les Baroney de Filaine élevaient leurs enfans, la Grande Salle imposante avec le lit monté sur l’estrade, avec les vastes fenêtres sur le parc et sur la vallée. Ce n’était pas Étienne seulement qu’elle évoquait dans ce décor, mais Gabriel Baroney, Madeleine, tous les enfans. Comme elle aurait été choyée, entourée, aimée ! on se serait disputé pour la relayer près de sa fille. Étienne eût été bon, Madeleine prévoyante, Gabriel gai. Les petites Solange et Brielle auraient dit, l’une :

— Alors, Paulinette est notre nièce, à nous, bien à nous. Comme c’est amusant !

Et l’autre :

— Il me semble que j’aime encore plus Marthe depuis que, grâce à elle, nous sommes des petites tantines.

À cette évocation, des larmes brouillèrent les yeux de Marthe et elle ne vit plus rien, ni la Grande Salle de Filaine, ni sa chambre de jeune fille, tapissée de cretonne, elle ne vit plus que son abandon.

Mais, vite, elle essuya ses larmes ; elle entendait son père qui montait. Maître Bourin n’avait pas changé. Il avait toujours ses cheveux de jais, son teint bistré et son assurance. Ce fut du moins ainsi qu’il se présenta devant sa fille ; mais on sentait que sa démarche et son sourire étaient un peu contraints. Sous son masque professionnel, maître Bourin avait tout de même vieilli :

— Bonjour, mes petites filles !

— Bonjour, papa.

On sait que M. Bourin n’est point loquace ; il se retirerait donc après avoir embrassé sa fille sur le front et fait, en se penchant sur le berceau, une courte grimace sympathique, s’il n’avait quelque chose à savoir. Il y a deux jours, Marthe a reçu