Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir si nous aurons du perdreau cette année. J’ai bien peur que les pluies de février n’aient gâté les couvées…

Si février est le réveil de la terre, avril est sa splendide renaissance. Ici, ce sont les légumes : les carottes aux feuilles en dentelle, les salades toujours pressées d’être bonnes à manger, les choux si fiers d’élever sur un piédestal le trésor bleu de leurs robustes feuilles, les oignons, les poireaux à la silhouette exotique, l’ail, l’échalote poussent à qui mieux mieux. Les artichauts ressuscitent. Et voilà les blés qui verdissent. Il est temps de les sarcler, d’enlever de leur beau domaine, qui doit être exempt de toute tache, les chardons gourmands. Les avoines déjà cachent le sol. On sème les betteraves. On plante les pommes de terre.

Des beuglemens plaintifs partent d’une ferme. Gabriel hocha la tête :

— On est en retard chez les Pâcault.

C’est qu’à Filaine on a depuis huit jours lâché les bêtes. Il ne reste sous le toit que les mères vaches avec les tout jeunes veaux qui ont besoin d’une nourriture plus substantielle et qui craignent le froid du matin et les giboulées. Mais toute la jeunesse des étables est partie pour les prairies. Quel étonnement d’abord pour les nouveaux venus et, vite, quelle joie ! Quelles gambades, quelles courses folles, quelles lourdes cabrioles sur ce merveilleux tapis vert ! Et ce jeune soleil qui les salue ! Et ce grand air qui les enivre. Eh oui ! vraiment, avril est un beau mois pour les herbes, pour les bêtes…

« Et pour les gens, donc ! ajoute Gabriel Baroney serrant dans son poing son bâton à lanière de cuir ! Vive Dieu ! l’année s’annonce bien. La terre, notre grande nourrice, a les mamelles gonflées. Quel beau lait pour ses poupons les hommes ! On a beau lui être infidèle, elle ne connaît pas la rancune. Toujours la première au rendez-vous, elle absout, elle sourit et se donne. Qu’il fait bon vivre ! »

Il était maintenant sur Filaine. Penché sur une barrière, il assista aux manœuvres des jeunes poulains. Ils se mettent en tas d’un côté du pré et tout à coup, comme à un signal, ils piquent une charge jusqu’à l’autre bout.

— Des jarrets, mes petits, faites-vous des jarrets.

Mais voici qu’il fronce le sourcil. A gauche sous le chêne, quelle est cette grande tache brune ? N’est-ce pas une des