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tout sur le travail de la terre et se suffire à elle-même : il eut le très rare bon sens de voir toujours les choses, non seulement comme elles étaient, mais comme elles devaient être dans le présent et dans l’avenir.

Cet homme, d’une imagination si puissante, était un piéton infatigable, arpentant le terrain avec la même lenteur et les mêmes précautions minutieuses que s’il n’avait pas eu un monde à ouvrir et un empire à fonder. Après avoir établi la ville de Québec au milieu des sauvages, il dut la défendre contre les Anglais ; il la perdit après un long siège et il la recouvra après une pénible négociation dont il fut l’âme et où il conduisit la volonté et la main de Richelieu.

Champlain fut tel ; et ceux qui ont lu son histoire dans le livre charmant et naïf où il la raconta et la dessina, tout à la fois, savent qu’il y avait, autour de lui beaucoup d’hommes pareils à lui : il n’est pas exceptionnel en son temps. Ces générations ont répandu, dans le monde, le bon renom de la France ; il ne s’effacera pas, en Amérique, tant que leurs œuvres resteront, et, comme elles sont confiées au sang des races, elles sont impérissables.

La colonie que Champlain avait fondée, Montcalm la défendit, et il périt sous ses ruines. Le parallèle des deux siècles est écrit dans les deux vies. Champlain, parmi toutes ses traverses, fut compris et soutenu par ses chefs, Henri IV, Richelieu. Montcalm, discuté jusque dans ses succès, fut, finalement, laissé à ses seules ressources. Champlain, homme de peu, fils de ses œuvres, tout en vigueur et en poids, aborde, d’un geste rude, la nature et les hommes. Montcalm, gentilhomme et soldat, élégant et raffiné, Vauvenargues colonial, chrétien et « citoyen, » selon sa propre expression, n’ayant pas choisi sa tâche, l’accepte et l’accomplit, non par préférence, mais par devoir : d’une belle lucidité d’esprit, il sait que la cause pour laquelle il combat, est perdue, et, après l’avoir sauvée deux fois sur le penchant de la ruine, il succombe avec la grâce suprême d’un athlète saluant le Prince pour lequel il va mourir[1].

On ferait un florilège délicat et vivifiant des paroles semées par lui dans sa Correspondance adressée à sa femme, à sa mère, et dans le Journal publié par l’abbé Casgrain : c’est le bréviaire du

  1. Le marquis de Montcalm (1712-1759), par Thomas Chapais. Québec, Garneau 1911, in-8.