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croyance. Notre « raison » nous suffit et se suffit à elle-même : n’est-ce pas beaucoup de suffisance ?

Un parti pris trop catégorique laisse souvent l’âme française sans appui et sans réconfort : ces contours rigides de la pensée que n’enveloppe et n’auréole nulle pénombre sont bien secs et bien tranchans ; quel inconvénient y aurait-il à ce que notre société, comme la plupart des sociétés humaines, ne s’en tint pas si strictement aux données de l’expérience et de la science positives ? Se refuser à rechercher au delà, n’est-ce pas, surtout, paresse d’âme ?

Je n’entends pas soulever ici, incidemment, un débat qui serait le plus grave de tous : je n’ai aucune qualité pour enseigner un évangile quelconque. Je n’ignore pas, qu’en Amérique comme en Angleterre, les esprits se portent vers un certain latitudinarisme religieux : peut-être les Anglo-Saxons vont-ils passer par une phase analogue à celle que la France traverse depuis plus d’un siècle[1]. Pourtant, la grande majorité, chez ces peuples entreprenans, pense qu’il n’y a que des avantages à ne pas séparer trop brutalement l’individu et la société des traditions qui, pendant si longtemps, les ont soutenus dans leurs luttes contre la barbarie et contre la destinée.

Pour l’individu, la religion, selon l’observation de William James, « rend aisés les sacrifices inévitables et même aide à trouver le bonheur : » s’agirait-il d’une simple illusion, qu’elle serait un incomparable réconfort. Pour la société, l’avantage d’une règle établie et vieille comme le monde, la consolide et la maintient. L’expérience humaine accumulée est conservée dans un enseignement moral tout constitué, et dont les grandes lignes sont universelles et intangibles. Quoi de plus sage que de transmettre cet enseignement aux enfans ? Si l’homme le veut, il saura bien, quand il se sentira pleinement maître de lui-même, se libérer de la discipline catéchiste, — à supposer que, plus libre, il agisse mieux.


Gabriel Hanotaux.

  1. Voyez, à ce point de vue, le livre si saisissant d’Edmund Gosse : Père et Fils traduit par Aug. Monod et Henri-D. Davray.