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LUTHER



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Wittemborg a gardé tout le charme du passé. Mollement étendue sur les bords de l’Elbe, à l’orée de cette plaine du Nord, sans heurts et sans éclat, elle se détache à peine du cadre de verdure qui l’abrite. Son calme extérieur répond bien à cette paix des choses. Dans la petite ville discrète, un peu grave, rien ne rappelle l’agitation, la fièvre intense des grandes sœurs industrielles. Celle-ci vit de ses souvenirs. Elle les raconte par ses monumens, vieilles églises, maisons « gothiques » qui n’ont guère changé depuis quatre siècles. Elle les respecte par son silence. On la croit assoupie ; elle se recueille, comme ces personnes pieuses qui, les yeux mi-clos, veillent en priant sur une châsse. Nous voici au centre de la vieille Allemagne, au cœur même de la Réforme. Dans cette longue et large voie qui, du cloître des Augustins, mène au château, a déferlé le courant de l’histoire humaine. C’est dans le couvent que Luther a enseigné ; c’est sur les portes de la chapelle ducale qu’il a affiché ses thèses ; c’est dans le sanctuaire qu’il repose, aux côtés de Mélanchthon, à l’ombre de l’aigle impériale et des écussons princiers, qui s’inclinent, comme l’hommage d’un peuple, sur la dalle de pierre où est gravé son nom.


I


En 1516, il a trente-trois ans. Son enfance fut triste. Dans cette faille du plateau saxon où il est né, la nature est âpre comme l’horizon étroit ; entre les crêtes monotones et recti-