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plus le beau rôle. Il n’était pas, depuis le matin, très rassuré sur les conséquences de sa promenade nocturne avec la fiancée d’Étienne. On a beau se croire libéré des traditions, on n’en ressent pas moins quelque malaise à l’examen d’un acte malpropre que l’on vient de commettre. Maxime, heureux d’un côté d’avoir joué un bon tour à Étienne, cherchait maintenant une issue à cette situation où il s’était jeté à l’aveuglette.

— Tu as même fait pis que compromettre cette petite, tu l’as troublée. Je viens de la voir. Tant que tu restais dans la théorie ou dans le simple badinage, je voulais bien prendre plaisir à tes propos. Je sentais même pousser en moi la sotte vanité d’avoir un neveu spirituel… Mais c’est fini de rire. De la théorie tu es descendu aux réalisations. C’est du propre. Je croyais que, pour un jeune homme d’éducation chrétienne, une jeune fille était un être digne de respect et deux fois sacrée, lorsqu’elle était fiancée. On a changé tout cela, probablement. On ne respecte plus le mariage, comment garderait-on des égards pour une personne qui a engagé sa foi sur parole ! Est-ce que cela compte, un serment ?… Moi, je suis resté vieux jeu, et sais-tu le vrai nom qui te convient, depuis hier,… ne ricane pas d’avance ! Tu es un voleur !

Maxime se leva, piqué au vif. Ses lèvres étaient blanches et tremblaient.

Gabriel ne lui laissa pas le temps de réfléchir.

— Tu trouves le mot un peu précis ? Il t’a ouvert les yeux. Puisse-t-il l’obliger à la réflexion et te montrer ton devoir !

Gabriel Baroney se tut. A son tour, il se leva du banc. Il croisa les bras et attendit, comme un juge, la réponse de son neveu. Celui-ci ne semblait plus pressé de parler. Il se livrait en lui un étrange combat. Son orgueil se regimbait, mais à son dépit se mêlait la honte. Il ne savait contre qui il avait le plus de colère, contre son oncle ou contre lui-même. Les mains dans les poches, les sourcils rejoints, il allait de long en large dans l’allée, devant Gabriel immobile. Tout à coup, il regarda son oncle en face et, haussant d’une saccade ses épaules, il dit :

— J’avoue que j’ai agi comme un idiot. Seulement, vrai, cette petite semblait si peu tenir à Étienne, et Étienne avait l’air si godiche en face d’elle que…

— Laisse Étienne tranquille. Est-ce que tu peux le comprendre ? Il est dix fois ton maître, entends-tu ? dix fois, en tout ! sauf dans l’art d’enjôler les filles ! Godiche, si tu veux, mais c’est