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brales. De telles âmes ne se contentent guère de demi-vertus, de demi-vérités, de demi-mesures. Il suffit d’une secousse pour changer leur destinée.

On sait par quels incidens celle de Luther se décida. Un ami meurt subitement à ses côtés ; lui-même échappe, comme par miracle, à la foudre. En vérité, sa nature morale n’avait-elle point déjà préparé sa vocation ? Le 16 juillet 1505, malgré l’opposition de son père et les instances de ses amis, il entre aux Augustins d’Erfurt.

Que furent ces premières années de vie religieuse ? Nous le savons mal. Il semble bien que l’exaltation qui le jeta dans le cloître ait provoqué, dans cette âme de vingt-deux ans, la crise inévitable. A travers les déformations ultérieures de ses souvenirs, nous percevons comme un écho des tempêtes où il s’est débattu d’abord. — Pas une ombre sur la foi. Mais dans cet état qu’il a choisi avec toute la fougue et l’illusion de sa jeunesse, c’est de lui-même qu’il doute. Être moine, c’est être parfait. Or, toutes les forces de la nature nous poussent vers le mal. Le péché est dans la chair ! Il faut meurtrir la chair. Il tyrannise l’esprit ! On doit abattre l’esprit. La « superbe, » voilà le mal profond, invincible, que le novice dénonce et dont il souffre. A chaque aveu de ses fautes, contrit, pardonné, « il se croyait meilleur que les autres ; » il s’aperçoit qu’il est toujours « sous la loi du péché. » Dans cette nostalgie de la perfection impossible, ce corps à corps avec la nature toujours rebelle, on s’use vite. Le jeune moine s’éveille en sursaut, « inonde son lit de ses larmes, » multiplie les dévotions sans retrouver la paix. Elle revient enfin, sous l’influence de son supérieur, Staupitz, qui le console, le rassure, lui fait comprendre la sérénité de l’Évangile et la douceur de l’abandon à Dieu. En 1507, la crise semble bien finie. Luther s’est voué à l’étude, passionnément. Il reçoit le sacerdoce. Bientôt, il écrira contre les moines qui songent à faire plus et mieux que la règle, s’égarant dans les œuvres d’un ascétisme surhumain. Lui est devenu un religieux exact, soumis, de bonne santé. Il se mêle aux affaires comme aux querelles de son ordre. Il écrit, il étudie, il prêche. En 1511, nous le voyons à Rome, en mission ; en 1515, il deviendra vicaire général de district. Il a renoncé « à escalader le ciel. »

Mais déjà est formé le pli de sa vie morale. Dans cette crise, l’infirmité de sa nature, comme de notre nature, lui était