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propre, » l’amour du moi. Voilà la corruption indélébile, qui atteint tous nos actes, même les meilleurs, le mensonge humain, celui des Juifs, des hérétiques, des « superbes, » qui, prenant les apparences pour le bien, leur sagesse pour la vérité, se fient à leur raison comme à leurs œuvres. Or, tel est l’enseignement des Psaumes, ce livre de la pénitence et de la miséricorde, que notre justification ne puisse leur être attachée. Dieu seul peut créer en nous la « justice spirituelle, » vertu du Christ opérant par la foi, rénovation intérieure qui transformera notre être. Dieu seul aussi nous sauve, non en ayant égard à nos mérites, mais en substituant les mérites du Christ et sa propre justice aux nôtres, par un acte pur de sa bonté.

Régénération par la foi, corruption de nos œuvres, justice de Dieu entendue de la justification : voici donc déjà quelques-unes des idées maîtresses du luthéranisme, de 1513 à 1516 ; et dans les sermons, cette attaque contre le « sens propre » va prendre un singulier relief. Qu’est-ce à dire ? Seraient-elles déjà l’hérésie ?… Mais si l’auteur s’attache à ces notions, s’il y ramène l’essence du christianisme, au moins croit-il encore à notre activité, à cette faculté, si faible qu’elle soit, qu’a « l’âme de choisir le salut. » Mériter par nos œuvres ? Non. Mais une œuvre nous est possible : la pénitence. Nous sommes libres de nous juger. Et nous juger, c’est nous condamner ; dompter la chair, par la mortification, l’esprit, par le renoncement, être humiliés et humbles. En cela nous pouvons nous préparer et coopérer à la grâce. — En 1516, ces réserves vont disparaître. Les Commentaires sur l’Épître aux Romains peuvent se rattacher aux Psaumes par un filon mystique ou moral. Ils sont la première affirmation d’un système luthérien.

« Nous naissons, nous mourons dans l’iniquité et l’injustice, justifiés par la seule imputation du Dieu miséricordieux et la foi en sa Parole. » — Formule concise qui, pour la première fois, définit la théologie nouvelle. Aussi bien, nul autre que Paul ne pouvait en fournir les élémens, car nul autre, en termes plus précis, plus pressans, n’a mis en relief dans les premiers chapitres de sa Lettre aux Romains et l’infirmité de notre nature et la gratuité de notre salut. Que cette doctrine ait dans l’apôtre, dans son épître même, ses tempéramens, que le milieu judaïque ou judaïsant, auquel elle fut destinée, en explique certaines affirmations redoutables, les interprètes traditionnels, aussi bien