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contre le sacerdoce. Ses adversaires ont l’Église : lui a la Bible. Autorité contre autorité. Mais principe positif qui va l’aider à reconstruire l’Église comme à la « libérer. »

Ce qu’il lui demande d’abord, c’est une certitude, la certitude : celle qu’il ne se trompe pas, que sa doctrine est vraie, que sa théologie « vient du ciel. » Rejetant le magistère de l’Église, ne croyant pas à celui de l’intelligence, où trouverait-il la vérité ? La Bible est le critère unique de la foi. La Parole de Dieu est la raison suprême qui domine toutes les raisons, la preuve qui tient lieu de toutes les preuves. La certitude de la foi n’est donc plus dans la continuité de la tradition, dans cet enchaînement qui soude l’Église du xvie siècle à celle des premiers âges, saint Thomas à Bède, Bède aux Pères, les Pères aux Apôtres. Elle est tout entière dans l’unique témoignage de l’Écriture, prise ce dans sa signification la plus simple. » Sont chrétiennes, les vérités qui sont évangéliques ; sont recevables les définitions qui ont un texte. Voici donc exclues du dogme toutes les idées greffées sur le dogme : seraient-elles vraies, seraient-elles probables, si elles n’invoquent point une formule scripturaire, elles n’ont qu’une valeur d’opinion. Seule, la Parole divine nous instruit et nous oblige. Et voici encore réprimés les écarts possibles de l’inspiration. C’est au nom de ce littéralisme scripturaire que Luther gardera le dogme de la présence réelle et se prononcera contre le radicalisme religieux de Carlstadt. Comment la foi risquerait-elle de s’égarer puisqu’elle a pour guide l’enseignement personnel, authentique et clair de la Révélation ?

À l’Écriture, Luther demande autre chose. Et en l’opposant à la tradition, ce qu’il prétend encore, c’est affranchir les âmes. « Le Christ est la liberté. » Cette liberté, avec quels accens il la proclame ! Cri d’espoir, de révolte, d’enthousiasme jeté aux vents de l’espace, comme celui d’une délivrance. L’Église est « captive. » Systèmes imposés à la croyance, règlemens annexés aux commandemens divins, cérémonies multiples et vexatoires, la tradition a créé dans le christianisme un autre christianisme ; dans la religion de la liberté intérieure et spirituelle, la triple servitude humaine des « opinions, » des observances et des lois. Mais s’il est vrai que l’Évangile soit au-dessus de l’Église, et non l’Église au-dessus de l’Évangile, à bas toutes ces geôles où le chrétien étouffe ! Pas d’autre vérité que la Parole. Certes !