Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il démontre que la seule réalité objective, ce sont précisément les rapports, les relations des choses.

La première condition de l’objectivité des choses extérieures à nous, c’est en effet qu’elles nous soient communes avec d’autres êtres pensans, ce que nous pouvons savoir par les raisonnemens qu’ils nous font et en les confrontant avec nos propres impressions. Peut-être à mon sens, Poincaré va-t-il un peu loin lorsqu’il affirme que cela nous garantit l’existence du monde extérieur, que cela suffit à distinguer la réalité objective du rêve. Nous pouvons en effet très bien rêver toute notre vie que des êtres semblables à nous nous font part de sensations analogues aux nôtres sur des objets qui, dans notre rêve nous paraîtront extérieurs à nous. Mais ce n’est pas le lieu de discuter ici la réalité du monde extérieur, puisque son existence supposée est à la base à la fois des doctrines scientistes et des doctrines opposées. L’objectivité de ce que nous appelons le monde extérieur étant donc laissée hors de doute à la fois par la science et par le pragmatisme, il résulte clairement de ce qui précède, et puisque c’est le « discours, » le langage qui transmet entre les hommes les sensations, qu’il n’y a pas d’objectivité sans discours. Le « discours » qui, d’après certains nominalistes créait des faits inexistans et était un voile devant l’objectivité, devient au contraire sa condition nécessaire. Mais, d’autre part, « les sensations d’autrui sont pour nous un monde éternellement fermé ; » je ne saurai jamais si les sensations colorées que produisent sur moi un bleuet, et la première et la troisième bande du drapeau français sont les mêmes chez vous ; tout ce que je sais, c’est que, chez vous comme chez moi, le bleuet et la première bande produisent la même sensation que nous appellerons bleu ou autrement, et que la troisième bande produit, chez vous comme chez moi, une autre sensation différente des deux premières. Donc, « ce qui est qualité pure dans les sensations est intransmissible et impénétrable. » Seules les relations entre ces sensations sont transmissibles et peuvent par conséquent avoir une valeur objective. Et c’est pourquoi la science qui nous fournit les rapports existant entre les phénomènes nous enseigne tout ce qu’il y a en eux de purement objectif.

La critique profonde et fine que Poincaré a faite des théories scientifiques ne conduit donc nullement à des conclusions