Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui fait les grands prosateurs ? Oui, c’est elle ! Les grands prosateurs sont encore plus préoccupés de la rime que les poètes. C’est parce qu’ils n’ont jamais pu la soumettre par leur volonté qu’ils cherchent à la vaincre par leur toute-puissance. Ils ne peuvent lui pardonner de leur avoir résisté toujours, à eux qui avaient tant de belles choses à lui offrir pour ses parures, tandis qu’elle va servir complaisamment tant de niais qui ne savent rien faire d’elle. Et ils luttent contre elle, phrase à phrase, mot par mot ; et ils inventent chaque jour de nouveaux effets d’harmonie pour remplacer cette cadence rebelle ; et ils choisissent les mots les plus sonores, les sons les plus retentissans, afin que leurs poèmes non rimés soient plus lyriques et plus mélodieux que tous les poèmes réunis de tous les rimeurs célèbres. » — Eh oui ! je crois qu’elle a raison ; et, en tout cas, c’est extrêmement ingénieux.

Mme de Girardin n’est pas négligeable même au point de vue politique. Précisément parce qu’elle pourrait dire avec le poète (de qui du reste j’ignore le nom) :

Je n’ai d’autre parti que celui de mon cœur,


elle est assez juste dans les critiques qu’elle adresse à tous les partis. Étant radicalement hostile aux légitimistes, parce que le faubourg Saint-Germain ne la reconnaît pas pour sienne, et ayant en horreur les républicains qui, pour elle, sont des gens qui ne se lavent pas les mains, elle serait assez volontiers juste milieu progressiste, comme son mari ; mais, quoique sympathisant avec quelques princes de la famille royale, elle ne peut pas souffrir le roi lui-même, de sorte qu’elle est très indépendante et que sa satire est extrêmement impartiale, c’est-à-dire omnilatérale et universelle. Elle considère la France comme une femme qui a divorcé d’avec un premier mari et que les amis du premier mari poursuivent de railleries, chargent de mépris, accablent de médisances et détruisent le plus qu’ils peuvent. Ils y sont aidés par les frères mêmes de cette pauvre femme, qui, eux, ne sont ni pour le premier mariage, ni pour le second, qui sont hostiles à tout mariage ; et ils s’arrogent sur elle une autorité étrange et ils ruinent son mari dans son esprit, lui persuadent qu’il ne l’aime pas et qu’il la trompe pour une vieille maîtresse étrangère qu’il lui préférera toujours.

Et enfin les amis du second mari pourraient être de bons