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ports au commerce. Dans tout le pays ce fut un frémissement d’horreur, et l’horreur redoubla quand des calamités survinrent qui semblèrent le châtiment des dieux : la famine, des épidémies, le choléra introduit par les bâtimens des étrangers, des tremblemens de terre, qui firent cent mille victimes. Enfin un incendie dévora une partie du gosho. Effrayé par ce qu’il regardait comme un présage céleste, Komei s’opposa de toutes ses forces à la signature de traités définitifs et, comme le gouvernement shogunal n’écoutait pas ses ordres, lui, le fils du Ciel, ne craignit pas de s’allier à ceux qui préparaient la Révolution. Le premier ministre de Yedo, li Kamon, était un homme dont la netteté d’esprit et la décision approchaient du génie ; un matin il fit cerner le gosho par les troupes qu’il avait à Kioto ; des soldats, pénétrant dans le palais même, arrêtèrent les conjurés, les princes, pour les jeter en prison, les autres, pour les envoyer au supplice. Le shogun prit le titre de taikun, qui semblait désigner le souverain du pays, il signa les traités que l’empereur n’avait pas voulu signer (octobre 1858). Mais bientôt on apprit que li Kamon venait de tomber à Yedo sous les coups de samurai, vengeurs de la majesté impériale (23 mars 1860). Alors chaque mois, puis chaque semaine, puis chaque jour apporta la nouvelle d’un autre succès des révolutionnaires, d’une autre concession du shogun. Enfin ce fut la grande nouvelle attendue depuis des siècles : les daimio avaient abandonné Yedo, le shogun impuissant allait se rendre à Kioto pour se prosterner devant l’empereur et l’appeler son maitre (octobre 1862).

Le prince Mutsuhito avait alors dix ans ; comme il avait perdu son frère, à l’occasion de la cérémonie où les Japonais échangent leur nom et leurs habits d’enfans contre un nom et des habits d’homme, il fut proclamé héritier présomptif. La rude éducation qu’il avait reçue, habitué à supporter toutes les privations, à ne jamais trahir ses sentimens, comme aussi les terribles événemens qui avaient marqué son enfance lui avaient donné un esprit et un caractère qui n’étaient pas de son âge. Quels spectacles d’ailleurs pour sa jeune imagination ! Quelles impressions pour sa jeune sensibilité ! D’abord, l’enfant est tout curiosité ; le shogun et soixante-dix daimio s’établissent à Yedo avec leurs troupes : samurai du nord, dont le chapeau de fer ou de cuir au masque grimaçant, l’armure aux lamelles de laque et de métal rappellent le moyen âge ; samurai du Sud-Ouest déjà