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faitement tranquille. Si bien que son épreuve, deux fois pénible, par elle-même et à cause du rôle joué par Maxime, comportait une atténuation dans un certain sentiment de soulagement. Plus de responsabilités ! Marthe, en manquant à la parole donnée, le dispensait de tout souci… C’était comme un opium bienfaisant et provisoire qui s’imposait à lui.

Et l’attitude courageuse qu’il adopta lui conserva toutes les sympathies. Les paysans, qui sont simplistes, donnèrent tous les torts à Maxime, dont la désinvolture dédaigneuse et les « simagrées » ne leur allaient guère. Quant à Marthe, ils ne l’accablèrent qu’à demi, car l’opinion générale fut qu’elle se repentirait de son coup de tête « avant les semailles de l’an prochain. »

Personne ne s’avisa de trouver Étienne ridicule. Le pauvre garçon en eut l’impression immédiate et, au lieu d’être satisfait, il en souffrit : il eût préféré que ce fût lui la victime, et non celle qu’il avait appelée quelques jours sa fiancée. Et ainsi, la douleur, dominant la surprise, affina sa sensibilité.

Il put donc affronter sans trop d’appréhension la curiosité de son frère Paul qui allait débarquer d’Épinal.

La nouvelle du séjour prolongé des Jérôme à Saint-Chartier avait beaucoup ému Paul Baroney, et comme il n’avait pas encore « fêté ses galons, » il obtint une permission de quinze jours avant les grandes manœuvres. Il arriva à Filaine le surlendemain du drame. Il en voulut d’abord à Étienne de s’être laissé « souffler » sa fiancée : il lui semblait que le déshonneur rejaillissait sur lui. Puis il se débarrassa de ce « préjugé » et se moqua de son frère maladroit. D’ailleurs, il ne dit mot à personne de ces réflexions contradictoires. C’était un homme à la volonté froide, ennemi du sentiment et qui ne supportait aucune contrainte. Il avait pris son congé pour le passer auprès de Maxime et de Rolande. Aucune considération ni personne ne l’eût empêché de se rendre au Château-Neuf dès le lendemain de son arrivée.

Il était grand, mince, brun, avec des moustaches coupées court, et portait avec aisance l’uniforme bleu clair de sous-officier de chasseurs à cheval. Il venait d’être nommé maréchal des logis. Sa garnison d’Épinal ne lui permettait pas de venir souvent dans sa famille, mais il était bien noté et obtenait aisément de plus longues permissions.

Au Château-Neuf, où l’on avait besoin de petits incidens