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Maxime était un paltoquet, Marthe aurait au moins près d’elle une femme de cœur et qui saurait panser ses blessures.

Rolande avait raison de prévoir que Mme Baroney compatirait à la contrariété de son mari. Dans ces circonstances, très rares du reste, — Gabriel Baroney était le meilleur fusil du canton, — l’unique règle de conduite était le respect du mutisme du maître de la maison. Personne ne riait, on parlait à mi-voix. Les domestiques et les enfans avaient des prévenances inaccoutumées. Cependant rien ne fut changé au programme de la soirée. Après la double lecture, les enfans montèrent se coucher, Étienne sortit dans le jardin, puis le père et la mère. Gabriel Baroney continuait d’être triste, mais la tristesse, si elle est le plus souvent un résultat, peut parfois devenir une cause. Gabriel Baroney savait se servir de ses chagrins.

Il passa doucement sa main dans le bras de sa femme et ils marchèrent quelques instans sans prononcer une parole. Madeleine Baroney se laissait guider par son mari, mais elle savait d’avance où il la conduisait. Ils prirent une allée tournante qui dévalait vers un taillis de noisetiers et de coudriers. On traversait un court tunnel d’ombre glauque et l’on débouchait dans un endroit découvert, large pelouse d’où s’élançait, à quelque distance et un peu en contre-bas, le haut fût d’un peuplier argenté, de cette espèce qu’on nomme couramment « blanc de Hollande. »

C’était un bel arbre. Non pas qu’il fût bien droit, ni régulièrement bâti : il avait ses défauts, mais il était harmonieux. Tout d’une venue jusqu’à cinq ou six mètres du sol, il se divisait à cet endroit en deux maîtresses branches, dont l’une se courbait presque horizontalement pour se relever en une fourche hardie et d’où naissaient plus loin vingt rameaux. L’autre branche-mère restait unique et ne donnait naissance qu’à de plus modestes ramures, mais variées à l’infini… Les feuilles de ce peuplier sont toutes petites, vert tendre et luisant d’un côté, elles présentent de l’autre un velours léger, blanc, qui s’argente par moment. On dirait des coquettes qui au moindre souffle s’agiteraient pour être vues à leur avantage. L’ensemble du feuillage est somptueux, le détail est familier et charmant. Ce géant a une figure de bon génie.

Gabriel Baroney avait un culte véritable pour ce bel arbre. Et lorsque le cultivateur ou le chasseur avait mérité sa récom-