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PAYSAGES D’AMÉRIQUE



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23 avril. — Promptement, la mer a été mauvaise. Toute la nuit, le vent a poussé contre nous, droit sur l’avant, les longues barres de la houle. J’entendais comme des cloches qui appelaient. Étaient-ce les lames faisant sonner les tôles ? Je disais : « Pas tout de suite, cloches de l’office dernier ! Vous ne détruirez ni nous, ni cette France magnifique à son premier voyage et que toutes les nations regardent. » Je crois bien que chacun a pensé à la mort, chacun selon son âge, son éducation et l’habitude de son cœur. Non qu’il y eût danger : mais nous nous sommes embarqués au lendemain du désastre du Titanic, et le plus durable écho de ces pauvres appels, il est là, chez nous, qui succédons aux victimes sur la route.

Cependant, aux flancs du bateau, ce matin, dans la poussière qui vole au-dessus des collines d’eau éventrées, un arc-en-ciel nous suit. Des nuages passent et l’effacent. Il renaît avec le soleil, et je regarde ce petit arc, où vivent et voyagent les couleurs des jardins, dans l’immensité bleue, d’un bleu de métal, bleu terni par le vent. Le chef télégraphiste frappe à la porte de ma cabine. Il me tend une enveloppe que je déchire. Je retire un papier plié en carré, je l’ouvre, je lis d’abord les mots qui sont là pour moi seul, et, avant de remercier, afin de cacher peut-être mon émotion, je continue de lire, je parcours les lignes imprimées en tête de la feuille. Il y a ceci : « Radiotélégramme en provenance de Paris, reçu du poste extra-puissant de Poldhu (Angleterre), le 12 avril 1912, à 11 heures du soir, France étant à 1000 milles de ce poste. » Je venais d’apprendre, par les deux mots qui suivaient, que tout allait bien dans ma