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la forteresse, — conservé également, — disait avoir été perdue parmi les ruines. Nous nous attardons là, et je vois que nos compagnons de voyage parlent moins que tout à l’heure. Mais, lorsque nous faisons le tour des talus de Carillon, et que nous observons, dans la pleine clarté de dix heures du matin, toute la contrée que commande le vieux fort, les paroles reviennent, la joie aussi. Au delà des terres descendantes, au delà du lac, étroit en ce point, les collines s’étagent, et le bleu des lointains s’affermit jusqu’à dessiner des lignes nettes sur l’azur pâle de l’horizon. Quelqu’un dit :

— N’êtes-vous pas d’avis que cela ressemble à la plaine de Pau, vue de la terrasse ?

En effet, si j’efface de mon souvenir l’image des eaux bleues, que ne rappellent en aucune façon les eaux du lac Champlain, troublées par la fonte des neiges, et qui refusent le ciel, les deux paysages ont une parenté de mouvement. L’atmosphère même est transparente ici, et favorable aux architectures étagées des lointains.

Un autre de nos compagnons, qui observe plutôt la forme longue du lac, et la couleur des arbres de premier plan, dit, presque au même moment :

— Je crois voir les Vosges, avec Retournemer et Longemer.

Tous d’ailleurs, nous reconnaissons ici des harmonies françaises.


Quelques heures plus tard, nous sommes sur une pointe de terre, loin déjà du fort de Carillon, au pied d’un phare de pierre blanche. Le phare domine un meulon de mauvaise rocaille, unique, debout parmi des lieux bas et des prairies, qui s’étendent en arrière. Quel désert ce doit être, et depuis l’origine du monde, cet éperon que bat la vague courte du lac Champlain ! Mais aujourd’hui les gens des villages américains, ceux qui habitent dans les monts Adirondacks, ceux de l’autre côté de l’eau, mineurs, fermiers, et quelques industriels, ou des pêcheurs de truites venus pour préparer la campagne prochaine, sont accourus à Crown point. Des chevaux, au piquet, broutent dans les prairies ; d’autres sont attachés aux branches d’un fragment de haie, reste peut-être d’une plantation faite par la main d’un vieux Français jalonneur et jaloux ; des carrioles américaines, — un petit siège sur quatre roues légérissimes, — des chariots, vingt