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commodément. » Les noms des chevaux d’autrefois ne doivent pas nous abuser sur leurs origines : celui que montait Henri II au tournoi où il fut tué était un turc, bien qu’il s’appelât « Le Malheureux, » ce qui, remarque un auteur du temps, était d’un mauvais présage, du moins pour le Roi, car pour le cheval, il vécut jusqu’à une extrême vieillesse.

Depuis Henri IV, qui fit son entrée à Paris sur un coursier de Naples gris-pommelé, jusqu’à Louis XIV qui on pareille cérémonie (1660) montait un « riche cheval d’Espagne, » bai, accompagné de Monsieur sur un barbe blanc, presque toutes les bêtes de prix venaient d’au-delà des Alpes ou des Pyrénées. Sans cesse nos ambassadeurs sollicitaient de Sa Majesté Catholique permission d’exporter de la Péninsule des lots d’une vingtaine de ces « genêts d’Espagne, » à tête légère et décharnée, les plus parfaits pour le manège relevé, — nous dirions aujourd’hui pour le cirque.

Ce que la mode prisait alors plus que tout, c’était l’animal glorieux qui allait à « un pas et un saut, » faisait des passades courtes et longues « de fort bel air » et, sans intervalle, trois « bonnes courbettes » du devant et du derrière. Exécutait-il, sans se faire prier, « la jambette » et les sauts de mouton les quatre pieds en l’air, il était complet. Dans les Académies où l’on apprenait patiemment aux chevaux, en leur piquant les cuisses, à ruer avec art, on dressait aussi les jeunes cavaliers de bonne compagnie. Ceux qui excellaient dans les voiles carrées et « de quarto en quarto, » dans les « ballotades » et les « caprioles, » excitaient l’enthousiasme ; ce sont eux que désigne le bon Pluvinel lorsqu’il dit qu’ « un bel homme sur un beau cheval est la plus belle et la plus parfaite figure de l’humanité. »

Cette conception équestre remontait aux derniers Valois, partie capitale de l’éducation du prince, sous lequel tout fléchit, observe Montaigne, sauf le cheval qui, n’étant ni flatteur ni courtisan, « verse le fils du Roi par terre comme il ferait le fils d’un crocheteur. » Aussi Charles IX se recommande, comme écuyer, à l’estime de ses contemporains en ce qu’il aimait, dès quinze ans, à piquer les chevaux et « ceux qui allaient le plus haut étaient ses favoris. » Le « bouquet » était on pleine faveur au temps de Molière, lorsqu’un marquis des Fâcheux décrivait le cheval alezan qu’il vient d’acheter chez Gaveau dont il a refusé 100 pistoles (3 500 francs) :