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majorité du bétail ne mangeait pas de foin et pâturait, bien ou mal, dans les jachères tout au long de l’année. De sorte que la provision de foin, auquel on suppléait par l’ajonc en Bretagne, par les roseaux en Provence, ne semblait pas trop inférieure aux besoins.

Si le commerce des fourrages était pratiquement très limité, celui des chevaux n’avait guère à apprendre sous le rapport des roueries du maquignonnage. Je ne sais si les courtiers ou « troqueurs » bravaient le règlement qui les menaçait de 15 francs d’amende quand « ils juraient le nom de Dieu, » mais leur confrérie, assez interlope au XVIIe siècle, contenait nombre d’escrocs fort experts à peindre les chevaux en brun ou en noir, à leur fabriquer des étoiles artificielles au front et à leur attacher des queues postiches.

Moins raffiné était l’art vétérinaire au temps où l’on prescrivait, « si le cheval était enchanté, pour avoir passé sous la croix de Fétu ou sur la bûchette charmée, » de lui faire aspirer du bitume judaïque, du soufre et de la graine de laurier. L’estime que l’on faisait des bons chevaux au moyen âge nous est révélée par les soins dont ils étaient l’objet, les onguens, les emplâtres confectionnés à leur intention avec des élémens coûteux : vin, miel, anis, mastic confit, etc. Et, quand ils tombent malades, on multiplie en leur faveur les prières et les pèlerinages, voire les offrandes à saint Eloi en vue d’obtenir son intercession. Il est même curieux de constater que procès est fait, sous Louis XIII, à un habitant de la Beauce accusé d’avoir tué un cheval par ses mauvais traitemens.

Tous les chevaux de quelque mérite étaient des bêtes de selle. L’attelage semblait ne convenir qu’à des animaux vulgaires. Si le maître à danser, dans le Bourgeois gentilhomme, traite le maître d’armes de « grand cheval de carrosse, » c’est que cette qualification fut longtemps une injure à l’adresse de l’homme brutal et grossier.

Réservé de nos jours, — sauf dans l’armée, — à la promenade et à la chasse, le cheval de selle, jusqu’à la fin du XVIe siècle, était à peu près l’unique véhicule même pour les femmes, fussent-elles dans un état où nos contemporaines ont soin d’éviter tout exercice violent. Isabelle d’Aragon, épouse du roi Philippe le Hardi, était enceinte lorsque, à son retour de Tunis par l’Italie, chevauchant à côté de son mari près de