Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cessèrent qu’à la nuit, et donnèrent lieu à de belles prouesses, mais la journée était perdue.

Résultat : quand le champ de bataille fut abandonné, 7 000 hommes restaient sur le carreau, sans profit pour le succès de nos armes. Crefeld était comme Rosbach une épreuve nationale, un revers fait pour jeter un nouveau discrédit sur la noblesse française, sur les princes eux-mêmes. C’était le tour des Condés de voir leur prestige atteint. Louis-Joseph le pensait mieux que personne. Resté en sous-ordre, il n’avait pu que combattre vaillamment, sans être assez heureux pour ramener la victoire. Mme de Pompadour, apprenant que le renfort envoyé de l’aile droite, n’avait pu arriver à temps pour sauver l’aile gauche, décocha à Clermont ce trait virulent, dans une lettre furibonde : « Quels sont donc les plats officiers, Monseigneur, qui ont égaré vos troupes et ont fait, d’une action qui devait être la plus belle, la plus malheureuse du monde[1] ? »

Peut-être par un violent effort sur le centre ennemi, trop dégarni, le général en chef aurait-il pu changer la face des choses. Il eût ainsi justifié la critique de Napoléon qui jugea trop excentrique et téméraire le mouvement de Brunswick. Du moins Brunswick avait risqué et réussi. Au grand désespoir de ses généraux, Clermont n’avait rien tenté. Il n’avait pas seulement été battu, mais il s’était enfui et avait entraîné l’armée jusqu’à Cologne et Trêves. Il fut mis en disgrâce et remplacé par le maréchal de Contades, non plus un général de sacristie, mais un général de salon ; c’était faire courir à de nouveaux désastres. On le pressentait à Versailles, où les femmes elles-mêmes le bafouaient. Mme de Condé écrivait à son mari :

« On croit ici que M. de Contades n’est pas fort empressé de se battre. L’événement d’une bataille perdue étant ordinairement funeste pour celui qui commande l’armée, il n’est pas étonnant qu’on y regarde à deux fois. Je ne puis le blâmer : je suis fort pour la prudence et pour qu’on épargne le sang. »

Avant de voir Louis-Joseph grandir comme homme de guerre, arrêtons-nous un instant sur la correspondance de sa compagne trop délaissée. Elle était digne de le réconforter, de le maintenir à distance dans la voie de l’amour conjugal et de l’honneur militaire en même temps.

  1. Mme de Pompadour à Clermont, 28 juin 1778. Papiers de Clermont, lettre citée par M. Richard Waddington (Guerre de Sept ans), II, 115.