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à n’être goûté qu’en souvenir, parait, quoi qu’on fasse, un peu terne et un peu vide. C’est ce retour invincible qui fait qu’il s’arrête devant le cortège de petits enfans des écoles, orphelins sans doute ou moralement abandonnés.


… Ces tout petits
Qui rentrent dans l’ombre où personne
Ne devine en leurs corps chétifs
Une âme immense qui frissonne.

Ils ont un très mince visage,
Pâle, avec des taches de son.
On ne sait pas quel est leur âge
Nul ne connaît leur petit nom.


C’est ce retour encore qui, à propos de la mort d’un ami d’enfance, fait monter, de son cœur à ses lèvres, ces vers tout gonflés de souvenirs, ces vers vivans, comme j’en connais peu et qui se mettent si vite à l’unisson de votre âme qu’il vous semble que c’est vous qui les avez faits. Cette impression, que donne souvent Lamartine, est à considérer comme le vrai critérium des vers qui sont le chant spontané de l’âme elle-même.


Soirs d’été. Nous étions assis sur la terrasse,
L’âme pacifiée, inoccupée et lasse,
Nous parlions vaguement de l’âme et de la vie
Devant la plaine d’ombre et de ciel confondus
En regardant au loin des lueurs d’incendie
Du côté de la lande et des pays perdus.
Parfois dans le silence on entendait l’orage.

Et la pluie arrivait, de loin et tiède, sur
Le jardin secoué par un vent de tempête.
Et nous fuyions avec nos vestes sur la tête.
Dans la chambre du pavillon, je te lisais
Des vers que tu jugeais merveilleux, pour me plaire,
Puis les parfums flottaient des massifs arrosés.

Une odeur de mouillé venait des terres molles.
Et ton bras doucement pesait sur mon épaule,


La solitude de l’âme s’exprime admirablement dans une courte pièce de M. Mauriac où, avec un grand plaisir, j’ai trouvé un renversement, ou plutôt une reprise, un ressaisissement de la pensée, qui est bien curieux et bien sympathique.