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d’excellent théâtre, ce qui, pour une pièce de théâtre, est bien quelque chose ; ou, si l’on préfère, ce qui est l’essentiel et qui assure le succès, même à la reprise.

C’est d’excellent théâtre ; seulement ce n’est que du théâtre. Pas un instant, et en dépit d’une affectation de réalisme, nous n’avons l’illusion de la réalité. Pas un instant, nous n’avons l’impression que ce milieu ait été observé directement et peint d’après nature, que sous ces personnages il y ait des êtres, sous ces rôles des sentimens, et que nous soyons, non pas au théâtre, mais dans la vie.

Voici une jeune fille, qu’on nous présente dans le cadre du monde où l’on s’amuse. Tous les exemples qu’elle a sous les yeux, et d’abord celui de sa mère, toutes les conversations qu’elle entend, tous les conseils qu’elle reçoit, toutes les tentations qui l’assaillent, la sollicitent dans le même sens. D’où lui viendrait le désir, la force ou l’idée même d’y résister ? Imprégnée continûment de l’atmosphère qu’elle respire, elle adoptera, sans y chercher malice, les principes de conduite qui ont cours autour d’elle ; et elle n’aura pas même à les adopter ; elle les porte en elle, sans y réfléchir et sans concevoir qu’on puisse faire autrement. Une jeune fille qui, dans ces conditions, tourne mal, cela se voit tous les jours : c’est la vie. Mais, au théâtre cela ne serait nullement intéressant et ne ferait aucun effet. Supposez au contraire que, par une grâce d’en haut, cette jeune fille soit en contraste absolu avec son entourage ; qu’une vertu, descendue en elle on ne sait d’où ni comment et par quelle opération, lui ait fait une âme de noblesse et de pureté ; vous voyez se dessiner l’opposition et naître le drame : cette fois, c’est du théâtre.

Et voici maintenant une jeune fille, née dans un monde vertueux et plus que vertueux, austère, élevée dans la famille, par une mère attentive et un père autoritaire, grandie en province dans un milieu où l’on a la sensation d’être sans cesse observé, surveillé, épié. Qu’une telle jeune fille soit, non pas la petite oie blanche, mais la demi-vierge ; qu’elle ait une liaison ; qu’elle prenne un mari uniquement pour pouvoir s’en donner à cœur joie d’être la maîtresse de son amant… cela est monstrueux, c’est-à-dire à la fois atroce et violemment exceptionnel, mais ce n’est pas ennuyeux ; cela frappe, cela amuse : c’est du théâtre.

Autre artifice. Au théâtre, où l’on dispose de peu de temps, où il faut renseigner le public tout de suite et une fois pour toutes, sans lui permettre de s’égarer, c’est un procédé commode de présenter les personnages dans une attitude si tranchée et d’ailleurs si parfaitement